Les germes responsables des maladies infectieuses ont coutume d'emprunter les navires pour se déplacer. Le Grand-Saint-Antoine, qui apporte la peste à Marseille en 1720 pour une ultime incursion meurtrière en Europe, est resté dans toutes les mémoires. L'Europe du XIX e siè-cle, portée par une idéologie de progrès, tend d'abord à se croire à l'abri des maladies épidémiques, jugées d'un autre âge, grâce à son degré de « civilisation ». Or l'un des fleurons de cette modernité triomphante, la navigation à vapeur, en augmentant la vitesse de déplacement des germes, aboutira à cet effet paradoxal de rendre le monde plus vulnérable encore au danger de propagation des maladies. La nouvelle technologie favorise certes le développement du commerce, mais aussi la mobilité des hommes. Le pèlerinage à La Mecque, qui de tout temps a constitué l'une des plus importantes migrations temporaires au monde, se trouve profondé-ment bouleversé par l'apparition de ce nouveau moyen de transport. L'antique caravane chamelière, dont la durée du trajet constituait une prophylaxie naturelle, cède le pas aux navires à vapeur. Ceux-ci permettent de multiplier le nombre des pèlerins, notamment en provenance de l'Asie, jusqu'alors en nombre réduit en raison de la longueur et de la difficulté du voyage effectué par voilier dans des mers peu sûres. Mais en 1865, le choléra quitte l'itinéraire terrestre par l'Asie Centrale et la Russie qu'il avait emprunté jusqu'alors pour se répandre en Europe, puis dans le monde, à partir du port d'Alexandrie. Il suit les pas de pèlerins revenant du Hedjaz 1 où ils avaient été contaminés par des coreligionnaires venus d'Inde, berceau de la maladie. La pandémie provoque un traumatisme profond. La communauté internationale, en cours de formation à cette époque, va dès lors s'attacher à faire des pèlerins le principal « groupe à risque » dans la propagation des maladies épidémi-ques. Elle leur impose un contrôle exemplaire, bien plus sévère que celui qui est appliqué à la navigation ordinaire et commerciale, entraînant l'édification d'un formidable dispositif quarantenaire dans la mer Rouge et au Levant, à l'heure où les quarantaines disparaissent partout ailleurs. La fabrication d'un groupe à risqueLes premières conférences sanitaires internationales En 1851, à la faveur de l'apaisement relatif des tensions politiques européennes après 1815 [1], les puissances du Vieux Continent décident de se mobiliser pour lutter ensemble contre la menace des épidémies. > Avec la navigation à vapeur, les hommes, mais aussi les germes pathogènes, se déplacent plus rapidement. En 1865, le pèlerinage à La Mecque est à l'origine d'une terrible pandémie de choléra. Celle-ci provoque un traumatisme profond et la communauté internationale va s'attacher à faire des pèlerins le principal « groupe à risque ». Elle leur impose un contrôle exemplaire, bien plus sévère que celui qui est appliqué à la navigation ordinaire et commerciale, entraînant l'édifica-tion d'un formidable dispositif quarantenaire dans la mer Rouge et au Levant, à l'h...
Tout au long du xixe siècle et jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, le pèlerinage à La Mecque est considéré comme vecteur majeur d'épidémies et fait l’objet d’un contrôle sévère de la part des puissances coloniales. Mais durant le conflit, il devient aussi une arme de propagande et les politiques coloniales s’en trouvent définitivement changées. Elles sont désormais moins guidées par la peur des épidémies, et visent davantage la protection des pèlerins. Il est vrai que de façon paradoxale, alors que les épidémies sévissent partout ailleurs durant le conflit, elles disparaissent du Hedjaz. Les politiques sanitaires mises en œuvre sur le pourtour de la péninsule dans les années précédant la guerre et le système de contrôle exercé sur les pèlerins ont semble-t-il permis de circonscrire les maladies infectieuses à certains foyers. C’est dans ce contexte de changement d’échelle du risque épidémique que se recomposent après-guerre les attributions respectives et les liens entre communauté internationale, puissances coloniales et États-nations en construction.
scite is a Brooklyn-based organization that helps researchers better discover and understand research articles through Smart Citations–citations that display the context of the citation and describe whether the article provides supporting or contrasting evidence. scite is used by students and researchers from around the world and is funded in part by the National Science Foundation and the National Institute on Drug Abuse of the National Institutes of Health.
customersupport@researchsolutions.com
10624 S. Eastern Ave., Ste. A-614
Henderson, NV 89052, USA
This site is protected by reCAPTCHA and the Google Privacy Policy and Terms of Service apply.
Copyright © 2024 scite LLC. All rights reserved.
Made with 💙 for researchers
Part of the Research Solutions Family.