Résumé: Cet article développe l'idée que tout nouveau modèle capitaliste d'organisation du travail produit une rhétorique idéologique et morale destinée à légitimer une forme de mise au travail qui s'avère contradictoire à l'essence des démocraties politiques, à savoir que chaque individu s'appartient à lui-même. Taylor et Ford ont fait de grands efforts pour convaincre l'opinion publique qu'il n'y avait pas de conflits d'intérêts entre les ouvriers et leurs patrons, tout en attaquant systémati-quement leurs ressources dans le cadre d'un rapport de forces bien réel. Le management moderne français suit la même voie et cherche à séduire et convaincre les salariés tout en développant une stratégie de précarisation subjective fondée sur une politique de changement perpétuel pour les déstabiliser.Mots-clés: Taylor, Ford, idéologie, management moderne, précarisation subjective.Présentation L e management français s'est fixé pour mission de métamorphoser ses salariés de manière à les rendre plus adaptés aux nouvelles donnes de la concurrence économique et plus récemment aux contraintes du capitalisme financier. Car il est dans son ensemble convaincu qu'il a en héritage de la période antérieure, notamment celle des Trente Glorieuses, une population de salariés plus rétive, plus rebelle, plus difficile à manager que celle des autres pays occidentaux concurrents. Il a cette conviction, partagée par une bonne partie de l'opinion publique, que les salariés français sont enclins à se mettre dans les rails de la contestation, de la confrontation, voire de la lutte des classes, qu'ils sont farouchement arc boutés autour de leurs acquis, avec une solide propension à faire grève ou encore qu'ils n'en font qu'à leur tête, persuadés d'avoir toujours raison (selon la logique de l'honneur professionnel, dont parle Philippe d 'Iribarne, 1989). Il faut dire que les salariés français cumulent historiquement bien des travers du point de vue de leurs employeurs; la France est un pays où le parti communiste a représenté une réelle force politique dans l'après guerre, où le syndicalisme (particulièrement la CGT) était fortement conflictuel, où le travail cristallise plus vivement qu'ailleurs les passions ( Davoine & Méda, 2008), représente un enjeu politique, symbolique, plus prégnant, et où la réduction de la durée du travail est parmi les plus fortes. Il y a parmi les décideurs politiques depuis les années 80 une réelle tendance à considérer que les Français sont enclins à en faire le moins possible