Descendre en singularité pour agir Le cas limite de la psychanalyse dans le champ clinique
RésuméL'histoire de la « pensée clinique » -prise en son sens le plus large -peut être dite vectorisée par une dé-singularisation toujours plus nette des situations de soin. Que ce soit en médecine somatique, en psychiatrie ou en psychologie, le colloque soignant/soigné s'est standardisé, par l'opérationnalisation d'un ensemble de procédures thérapeutiques jugées efficaces. La psychanalyse, dernière-née des sous-disciplines cliniques, occupe à ce titre une position « à la limite ». Soucieuse comme les autres de connaître pour mieux soigner, elle monte en généralité (cf. ses étiologies, ses diagnostics et le modèle métapsychologique). Mais elle adopte simultanémentsuivant cette même exigence d'efficacité -une démarche inverse qu'on peut à bon droit nommer « descente en singularité ». De fait, Freud met en évidence que certaines représentations uniques verbalisées au cas par cas de ses patients (non reproductibles par d'autres, et non utilisables pour d'autres) constituent le principal levier thérapeutique pour une série de troubles et souffrances psychiques. Son legs scientifique consiste ainsi en une reproblématisation de la question des niveaux logiques opérants dans le champ clinique : est-ce avant tout au niveau du générique (comme en médecine) qu'il faut situer l'effort de vérité pour bien soigner, à l'échelle du typique (comme en psychologie), ou, au contraire, dans l'ordre de l'unique (proposition originale de la psychanalyse) ? Une relecture du fameux cas freudien de Lucy R. -tiré des Etudes sur l'hystérie (1895) -permet de préciser ces enjeux épistémo-cliniques, toujours d'actualité. Est alors discutée la proposition qui organise ce numéro, soit celle de l'extension du qualificatif de « clinicité » à toute pensée du singulier -même hors cadre thérapeutique -, dans l'art, en littérature ou en sciences humaines.