de peuple 1 sont tellement étroits, multiples et complexes à démêler sur la longue durée qu'il serait tentant de dire plus simplement que le peuple est consubstantiel à la rhétorique, et vice-versa. Comme thématique, comme auditoire construit, comme voix rapportée, comme stratégie d'ethos, comme ensemble de croyances partagées, comme justification même de la parole persuasive dans l'espace social, le peuple alimente la pratique rhétorique dans toutes ses dimensions. C'est une banalité de rappeler que cette pratique trouve son fondement historique dans l'apparition d'institutions (jurys et assemblées populaires) visant précisément à donner une existence politique réelle à une catégorie du corps social jusqu'alors refoulée hors de la chose publique. Ainsi, la conscience même du peuple comme demos émerge en même temps que la rhétorique. De son côté, la rhétorique ne va cesser de redéfinir en retour la sociologie qui lui donne sa raison d'être. En effet, toute l'architecture conceptuelle de la rhétorique, et la scène pratique qui l'actualise, accréditent une vision du social caractérisée par les grandes oppositions suivantes, qui sont autant d'avatars historiques et idéologiques du partage très concret entre ceux qui possèdent la parole publique, et ceux qui la reçoivent : l'élite gouvernante vs la masse gouvernée, les savants maîtres de la raison vs les ignorants soumis aux passions, la classe des mystificateurs vs celle des mystifiés. D'Aristote à Roland Barthes, on peut dire que cette sociologie politique que renferme toute théorie rhétorique a connu une sérieuse reformulation, pour ne pas dire une inversion radicale de perspective. Chez le père de la Rhétorique, l'exercice public de la parole persuasive doit s'ajuster à la majorité silencieuse, en épousant ses croyances comme socles du raisonnement 2 , en se servant de ses définitions des passions et des airs, au point que Barthes lui-même voyait dans cette « rhétorique de masse » (comme Introduction : exercer les rhétoriques du peuple Exercices de rhétorique, 7 | 2016 Introduction : exercer les rhétoriques du peuple Exercices de rhétorique, 7 | 2016 11 C'est cette ambition que poursuivent, par des biais différents, les dernières publications de Ruth Amossy (Apologie de la polémique), Marc Angenot (Dialogues de sourds) et Emmanuelle Danblon (L'Homme rhétorique). Les deux premiers rompent radicalement avec le postulat du consensus comme horizon de la pratique argumentative et soutiennent, pour l'une, l'idée d'une fonction et d'un fonctionnement sociaux de l'écart discursif, pour l'autre, d'un fondement cognitif à de tels écarts. Dans l'un et l'autre cas, la seule majorité silencieuse qui reste est celle qui est précisément exclue radicalement de l'échange rhétorique, qui n'y intervient même plus à titre de destinataire, puisque cette place elle-même n'a plus de pertinence dans une économie discursive faite d'une pluralité éclatée de voix singulières. À l'inverse, on peut dire que la vision intégrative Introduction : exercer les rhétoriques du peuple