L’article cherche à montrer les liens économiques étroits, jamais étudiés jusqu’à présent, qu’entretiennent le système de la dot et celui des fidéicommis. Si l’élite vénitienne du xviii e siècle constitue le terrain privilégié de l’étude, cette dernière concerne également d’un point de vue comparatif d’autres réalités européennes à la même époque. À partir de l’analyse de nouvelles sources d’archives, émergent des interrelations originales et conflictuelles entre la patrilinéarité et la matrilinéarité au sein des familles vénitiennes où les femmes jouissaient d’une autonomie économique et sociale particulièrement étendue, et ce non seulement dans la société patricienne mais également dans l’ensemble de la société. Même si les biens constituant la dot, en général de nature mobilière, étaient gérés par le mari, en cas de décès de ce dernier, la veuve prenait sa place comme propriétaire et en assumait la gestion. Sans aucun doute les fidéicommis, qui à Venise étaient dividui , conservaient et immobilisaient le patrimoine des familles du côté du mari, mais ils constituaient aussi en même temps du côté de la femme, une assurance sur les biens de la dot. Les solutions trouvées pour rendre liquide le patrimoine illustraient les différents conflits et stratégies entre les parties prenantes ; ainsi la restitution de la dot, peut être comprise comme une solution pour libérer des biens réputés intouchables. Les débats de l’ Accademia dei Nobili (académie des familles nobles), étudiés de manière inédite et peut être pour la première fois, mettent en évidence la conscience des acteurs des liens de nature socio-économique existant entre le déclin de la Sérénissime et les fidéicommis. Ceux-ci interrogaient directement les bénéfices que pouvaient retirer ces familles d’une plus grande mobilité des patrimoines immobilisés via une réforme de ce statut héréditaire et montrent à quel point les affaires privées interféraient dans la sphère publique. Malgré les positions contraires prises par les jeunes nobles de cette académie (celle des Contarina et celle des Giustiniana), aucune véritable réforme ne sera adoptée à Venise. Les déclinaisons conservatrices de la politique vénitienne en ce domaine cherchèrent toujours à favoriser le maintien du statu quo.