Dès l'enfance les hommes ont, inscrits dans leur nature, à la fois une tendance à la représentation (imitation, mimèsis) [...] et une tendance à trouver du plaisir aux représentations.Aristote, La Poétique, 4, 48b 6-9 D EPUIS LA NAISSANCE DE LA PSYCHIATRIE française au tournant du 19 e siècle, le lien entre littérature et médecine s'est redéfini autour de la question du suicide. Considérée par les aliénistes comme une cause du suicide, la littérature devient un objet de médecine et de santé publique. D'un mode de représentation, la littérature passe à un statut d'acteur, auquel les médecins attribuent un pouvoir d'action sur des individus mélancoliques, aliénés ou prédisposés à la mort volontaire, qui transmet le suicide par contagion, ou par imitation, et menace donc une société de plus en plus consommatrice de romans et d'autres publications. Les médecins parlent de la sensibilité fragile des femmes et le risque psychique que pose leur lecture des romans dits immoraux. Or, si les femmes sont considérées comme étant tout particulièrement susceptibles aux dangers de la lecture 1 , les sources montrent que la notion médicale de la contagion du suicide par la littérature ne trahit pas cependant le paradoxe du genre, selon lequel ce sont les hommes qui se suicident davantage et qui auront été pris sous influence de l'exemple contagieux de Werther, sur lequel je reviendrai plus loin. Néanmoins, du point de vue des médecins et des hygiénistes, il s'agit d'un danger d'autant plus redoutable auquel n'échappe pas même la sensibilité plus hardie des hommes.Aujourd'hui encore on parle de l'« effet Werther », bien qu'il s'applique actuellement moins à la littérature, et davantage à d'autres modes de communication, notamment le cinéma, la télévision et les réseaux socionumériques, comme on le constate dans les études en suicidologie et en thanatologie plus généralement. La question de statut de la littérature se pose ici, entre mauvaise influence, déclencheur de la contagion, et acteur véritable, ou « contage ». Le constat de la contagiosité du suicide par la lecture a produit de nouvelles réponses hygiénistes et sociales aux effets suicidogènes constatés par les médecins du 19 e siècle 2 . Or, selon l'hypothèse que j'essayerai de démontrer ici, ce constat de la contagion du suicide relève d'une construction discursive, elle-même fondée sur des postulats non avérés