À partir d’un corpus d’écrits médicaux et législatifs, cet article retrace la fondation de la psychiatrie coloniale en Nouvelle-Calédonie à partir de 1868 jusqu’à la fin du régime de l’indigénat en 1946, pour montrer sa spécificité par rapport à l’aliénisme à portée universelle qui s’élaborait dans l’Hexagone et ses déclinaisons dans les autres colonies françaises. Il décrit comment les reconfigurations dans la situation coloniale influèrent sur la psychiatrie et favorisèrent l’invisibilisation des aliénés Kanak. La superposition des logiques sanitaires, pénales et de peuplement favorisa l’émergence d’un aliénisme de l’enfermement et de l’éloignement, visant à protéger la société coloniale d’une contagion morale, de celle des bagnards d’abord, puis de celle des travailleurs immigrés et indigènes ensuite. Ce travail de mise à la marge se déploya sur un espace, l’île Nou, où se trouvait le bagne et son hôpital, et s’appuya sur un régime juridique fondé sur les procédures d’exception permises par le contexte du régime pénal, de celui de l’indigénat et de l’épidémie de lèpre.