P our aborder la maternité comme enjeu de pouvoirs au Pérou, dans un contexte postcolonial , l'historienne Lissel Quiroz a exploité de multiples fonds d'archives, des récits ethnographiques, des fictions littéraires, des régimes de connaissance invisibilisés (chants, légendes, rites) et, dans une perspective comparative, de nombreuses études consacrées à l'histoire de la maternité en Europe occidentale, notamment les travaux d'Yvonne Knibiehler (1980), de Catherine Fouquet (1980), de Jacques Gélis (1982, 1984, 1988, de Mireille Laget (1982) et de Françoise Thébaud (2007). L'objectif de son ouvrage, qui se situe à la charnière de l'histoire et de l'anthropologie, est « de prendre une distance avec la vision positiviste de la maternité et de la santé, et d'analyser leur histoire dans la complexité des rapports sociaux qui s'y dessinent » (Quiroz 2022, 19). Ancrée dans la double perspective anthropologique et féministe décoloniale (Lugones 2008 ;Maldonado-Torres 2007 ; Quijano 2000 ;Restrepo et Rojas 2010 ; Vergès 2017), la réflexion de l'auteure s'ordonne autour de six chapitres.Le premier chapitre est dédié à la description de ce qu'étaient les maternités autochtones avant l'apparition du modèle occidental de la naissance. À cause des injustices testimoniales et herméneutiques (Fricker 2017) dont étaient victimes les communautés autochtones péruviennes de l'époque étudiée, Lissel Quiroz s'est contentée d'une documentation écrite lacunaire et biaisée laissée par les élites, ainsi que des travaux ethnologiques et anthropologiques sur la naissance. L'auteure nous montre que la maternité autochtone est ancrée dans un temps circulaire et dans une pensée aux dimensions multiples : symbolique (« Dans les Andes, on considère qu'il peut être dangereux pour une femme en couches de coudre, d'utiliser de la laine ou du fil voire de tricoter », (Quiroz 2022, 28) ; magique (les envies non satisfaites peuvent provoquer l'avortement et la Obrillant Damus 1 Anthropologica 65.2 (2023)