Le roman Le Sari vert (2009) d’Ananda Devi, écrivaine franco-mauricienne, relate une histoire de haine et de violence familiales entre un homme à l’agonie d’un côté, et de l’autre, son épouse, décédée depuis longtemps et réapparaissant comme un fantôme, le hantant, puis leur fille et leur petite-fille, celles-ci bien vivantes et assoiffées de vengeance. Devi écrit son roman sous la forme du monologue intérieur d’un seul narrateur, qui, cependant note aussi les paroles et les réactions des deux femmes qui l’assistent. Il s’agit dans cet article de montrer comment est obtenu l’effet à la fois de la non fiabilité du narrateur et de sa monstruosité. Les notions théoriques d’auteur implicite et de narrateur (non) fiable/(in)digne de confiance sont empruntées à Wayne Booth, puis nuancées par quelques autres notions narratologiques plus récentes (distinction d’A. Nünning (1999) entre « non fiable » et « indigne de confiance » ; J. Phelan (2005) introduit, quant à lui, trois critères ou axes de la (non)fiabilité : narratif, interprétatif et axiologique). À l’aide de ces notions, on conclut à une certaine fiabilité du narrateur dans le domaine des faits, à son interprétation fréquemment erronée de la psychologie et des motivations des autres personnages et enfin à son indignité sur le plan éthique. Le discours narratorial est donc miné par des contradictions discrètement introduites qui sont autant de signaux de la part de l’auteur implicite, le narrateur lui-même est déjoué et sanctionné à la fin du roman, apparaissant dans toute sa turpitude.