Produire en urgence. La gestion de l'imprévisible dans le monde du journalisme

Abstract

Le travail journalistique est structurellement confronté à l’urgence. Contrairement à d’autres secteurs reposant sur un flux tendu, l’urgence n’y relève pas seulement des défaillances aléatoires du cycle de production : elle tient également à la nature même de la matière première, l’actualité, qui doit être traitée dans le contexte d’une organisation collective. À partir d’observations et d’entretiens réalisés au sein de la presse écrite, cet article étudie la manière dont l’urgence s’inscrit au quotidien dans la production journalistique. Il met en évidence, dans ce flux de produits uniques, les efforts de sérialisation et la mince possibilité de négociation de l’irréversibilité – inhérente aux procès industriels. La solution aux problèmes posés par l’urgence passe principalement par une gestion des stocks, qui souligne le rôle central et les ressorts de la prévision dans des situations où le contenu même du travail est marqué par l’incertitude.

La « violence » des Gilets jaunes : quand la fait-diversification fait diversion.

“…Les forces de l'ordre se sont ainsi imposées comme une source centrale de définition de l'évènement (Pichonnaz, 2013) et tout particulièrement pour les journalistes locaux (Berthaut, Darras et Laurens, 2009). Ces sources usuelles, avec lesquelles les journalistes bénéficient d'une proximité, leur permettent de travailler plus rapidement, alors que leur métier est particulièrement soumis à l'urgence (Pilmis, 2014). Alors que, d'ordinaire, ces sources étatiques sont mieux dotées dans la compétition pour l'accès aux médias (Padioleau, 1976), les formes mêmes du mouvement favorisent -et renforcent -ce poids parmi les différentes sources d'information disponibles pour les journalistes.…”

Produire l’actualité des images

“…Le travail des documentalistes s'inscrit ainsi dans une logique de stockage, permettant aux acteurs de limiter les risques liés au surgissement d'événements imprévus ou difficilement « illustrables ». Cette dimension de l'activité journalistique liée à la gestion de l'incertitude et de la prévision a déjà été documentée par la sociologie du journalisme, et notamment par les travaux qui ont insisté sur la façon dont l'imprévisible et l'inattendu sont pris en charge par des structures journalistiques routinisées et bureaucratisées [Tuchman, 1973 ;Pilmis, 2014]. Olivier Pilmis souligne ainsi que les activités de stockage font partie -avec celles d'anticipation, de préfabrication et de sérialisation -des pratiques permettant de gérer l'imprévisibilité intrinsèque à « la matière première journalistique », laquelle est par définition constituée d'événements faisant rupture dans le flux continu de l'expérience.…”

“…Cela paraît d'autant plus étonnant que, selon une vision de l'agence en tant que grossiste d'information fournissant principalement de l'actualité « chaude » en flux continu, toute intervention postérieure à la prise de vue pourrait être perçue comme une activité retardant l'envoi des images aux clients, et donc pouvant potentiellement nuire à la newsworthiness des images produites par l'agence. L'excessive prise en charge et édition des images après leur envoi par les photographes pourrait donc être vue comme contradictoire par rapport à l'« urgence », dimension temporelle sur laquelle est souvent mis l'accent tant dans les récits des professionnels du journalisme que dans les analyses sociologiques de l'activité journalistique [Rozenblatt, 1995 ;Hubé, 2008 ;Pilmis, 2014], et qui est communément considérée comme prédominante en agence de presse.…”

Attendre le signal

“…On a montré l'importance des dynamiques interactionnelles dans la production des faits d'actualité (Tuchman, 1978), que ce soit par la prise en compte du point de vue du public dans la production des contenus (Lemieux, 2000) ou par la description de l'organisation sociale de la production de l'information (Tunstall, 1971 ;Gans, 1979 ;Siracusa, 2001 ;Berthaut, 2013 ;cf. Dagiral & Parasie, 2010 pour une discussion des travaux plus récents sur l'information en ligne), en prêtant notamment une attention particulière à ses dynamiques temporelles (Rozenblatt, 1995 ;Pilmis, 2014). La sociologie de la production audiovisuelle s'est, quant à elle, davantage intéressée à la fiction et notamment aux activités professionnelles d'écriture qui lui sont spécifiques (Pasquier & Chalvon-Dermersay, 1993 ;Pasquier, 1995 ;Rot, 2014).…”