Après les publications des textes d'Annelise Riles 1 et d'Alain Pottage 2 , la revue Clio@Themis poursuit son entreprise de traductions de travaux qui invitent les sciences sociales à prendre au sérieux les « opérations du droit » et le savoir juridique. La revue souhaite, par la même occasion, ajouter des outils supplémentaires dans la boite à idées des historiens du droit. Ce dossier ouvre cette fois-ci ses pages à deux contributions canadiennes qui proposent, en se focalisant sur la « technicité juridique », une réflexion renouvelée sur les rapports spatio-normatifs, sur les relations entre droit et géographie. Le lien entre ces deux textes est fortement marqué puisque celui consacré aux « tactiques spatiales des tribunaux pénaux » se revendique explicitement de la voie ouverte par « Juridiction et échelle » 3 . Le texte de Mariana Valverde, publié dans Social & Legal Studies, date de 2009 ; plus récent, celui de Marie-Ève Sylvestre et ses coauteurs trouve place dans la revue Antipode en 2015 4 .
2Le courant de Legal geography s'est développé dans le monde anglo-saxon à partir des années [1980][1981][1982][1983][1984][1985][1986][1987][1988][1989][1990]. Il entend étudier « comment les institutions juridiques structurent et affectent la géographie de la vie sociale, et comment cette dernière influence le droit » 5 . Dès lors, de nombreux travaux se sont proposés d'articuler droit, nature/ société, espace (Patrick Forest parle élégamment des « épissures géo-légales » 6 ). En France, les recherches sur le droit et la géographie sont assez peu nombreuses et ce domaine encore largement inexploré 7 . Les publications existantes le sont bien souvent grâce à des initiatives de géographes. Il faut pourtant reconnaître que les historiens du droit ont, sur ce terrain, très précocement ouvert la voie, sans susciter de vocations nombreuses. Montesquieu n'est-il pas souvent présenté comme le fondateur de cette littérature géo-légale ? De Henri Klimrath à Jacques Poumarède, en passant par Jean Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? Clio@Themis, 23 | 2022 4 Si les deux textes s'illustrent par une incontestable communauté d'inspiration, ils se distinguent également par des différences notables. L'un et l'autre plaident pour une articulation entre droit et géographie symétriquement inversée : là où Mariana Valverde invite les géographes à prendre au sérieux la légalité géographique, Marie-Ève Sylvestre, William Damon, Nicholas Blomley et Céline Bellot encouragent plus directement les juristes à prendre en compte la spatialité (ou la géographicité, pour utiliser le terme d'Éric Dardel) juridique. Il ne s'agit ici pas de résumer en détail ces articles ni de rappeler le contexte de leurs publications respectives. Ces points sont abordés par Un tournant technique des sciences (sociales) du droit ? Clio@Themis, 23 | 2022 relations socio-spatiales en fonction d'une clef de répartition spécifiée. Marie-Ève Sylvestre, William Damon, Nicholas Blomley et Céline Bellot abordent cette dimension géographique par un versan...