Internet nous relie et nous expose. Les messageries instantanées, les blogs et les pages personnelles, les forums et les plateformes de partage, les réseaux sociaux forment autant d'espaces médiatiques où nos identités se façonnent, se mettent en scène et entrent en interaction. Que nous soyons l'internaute qui met en ligne du contenu, ou bien le visiteur qui en prend connaissance, nous éprouvons quotidiennement cette prégnance des identités propre au Web, reconfigurant sans cesse notre image et celle des autres, entre stratégie et dévoilement, signaux et traces, interprétation et projection. Inclus par notre navigation dans une relation, nous pouvons observer comment la confiance s'y fraie un chemin à travers les mots, comment les traits saillants d'une personnalité se laissent deviner dans l'ambiance d'un site, comment l'expertise semble guider un comportement. Le naturel avec lequel nous nous immergeons dans ces nouvelles formes de publication et de sociabilité signale à quel point les processus à l'oeuvre dans ces relations nous sont familiers et, loin d'opposer un monde virtuel à la société réelle, prolongent nos autres expériences de communication. 2 Mais le propre de l'univers numérique est d'en révéler ostensiblement la complexité et les contraintes. L'image de soi y utilise toute la palette des mots et des images, des sons, du non-verbal et de l'« énonciation éditoriale » (Souchier 1998). Les discours s'y archivent en une architecture mobile, à grand renfort de posts, de liens, de hashtags, de commentaires et de moteurs de recherche. L'identité 1 s'y diffracte au prisme des pseudos adoptés et des rôles joués dans les différentes interfaces ; elle se dilue dans l'implicite des dispositifs ou de l'énonciation collective, institutionnelle ; elle se cristallise dans un profil, se sédimente en réputation (Auchlin 2001 : 85, cité par Maingueneau 2002), ou précipite brutalement, à la faveur d'un troll ou d'un buzz. Internet n'est pas un simple support mais un milieu, auquel les stratégies de présentation de soi (Goffman 1973) doivent s'adapter, quitte à se reconfigurer. Que l'image ainsi construite se destine au tout-venant ou se réserve à des happy few-un Présentation Itinéraires, 2015-3 | 2016 L'ethos, en ce sens, est bien un « fantôme » de sujet parlant, une illusion de sujet parlant, un « hologramme expérientiel » […]. (Auchlin 2001 : 81) L'ethos se situe donc au coeur de la communication interpersonnelle, à mi-chemin entre ses acteurs, idéalement comme une co-construction, ou de manière plus réaliste comme une approximation qui prend corps dans le vif de l'échange. Si un tel fantôme vient doubler l'orateur en chair et en os, on imagine sa propension à envahir l'espace de la représentation lorsque la communication s'effectue à distance, comme c'est le cas sur Internet. Dans le cadre de la pragmatique et de l'analyse du discours, l'impératif rhétorique aristotélicien, initialement associé à une pratique orale et argumentative de la langue, a pu être adapté non seulement à l'oralité ordinaire et