Les nouveaux outils du pouvoir : Tours et atours technologiques de l'autorité L'appropriation des réseaux et plus généralement des médias informatisés se fait par la médiation de la lecture et de l'écriture ; se constituer en auteur, en lecteur, et, à l'intérieur même de ces rôles structurants, comme une autorité, se fait par la mise en oeuvre de signes écrits, établis dans une négociation entre la technicité du média et le projet de communication des individus 1. Cette réflexion de fond, qui illustre le pari historique de Quaderni de penser les technologies solidairement de la communication et du pouvoir, s'inscrit dans une optique anthropologique longue : il n'y a pas de pouvoir, pas d'autorité entre les hommes sans que soient mobilisés, à l'appui de cette relation, des ensembles de matérialités techniques qui sont aussi des ensembles de signes. Si je me propose ici de revenir sur ces « tours technologiques de l'autorité », c'est parce que quelque chose se passe avec les médias numériques, qui mobilisent du social (c'est leur logique même d'outils et d'objets de communication d'être pris dans les relations humaines) et se constituent objectivement dans la rencontre du code, des processus sémiotiques et des imaginaires sociaux attachés aux outils euxmêmes. Étudier ce phénomène, c'est se pencher sur le lieu même où se fabrique aujourd'hui le pouvoir des outils et ce qu'il confère à ceux qui les manipulent 2. La notion de « tour » que j'emploie ici vise à cerner les spécificités de ces rencontres ordinaires, mais toujours singulières, entre les hommes, leurs outils et les médiations nombreuses dont ils les chargent : j'interrogerai donc ces relations donc entre nos univers d'objets et leurs nébuleuses de sens, les régimes dans lesquels les relations de pouvoir et d'autorité se déploient aujourd'hui, et les signes, les atours dont elles parent ceux qui en sont investis. Prenons un exemple, et voyons. Le 16 septembre 2019, Europe 1 décrivait, sous le titre « Découvrez l'application smartphone secrète qui place les ministres sous la surveillance de l'Elysée », la mise en place d'un système informatisé de tableaux de bord pour le pilotage des politiques de l'exécutif. La photographie accompagnant l'article montrait Emmanuel Macron, huitième président de la cinquième République française, consultant son téléphone en sortant d'un bâtiment officiel. L'article m'est personnellement parvenu par la médiation de Twitter, le jeu des retweets m'ayant donné à connaître le « thread » (« fil ») publié, en accompagnement de cet article, par Romain Beaucher, designer co-fondateur de Vraiment Vraiment, agence de « Design d'intérêt général » établie à Paris et Bruxelles (voir Figure 1).