La pensée européenne, dominée depuis longtemps, jusque dans ses formes dites « populaires » par la ville, l'écriture et l'école. (Bourdieur, 1978, 52) En régime d'oralité première, par définition, les situations de contage mettent directement en contact le conteur et son auditoire. En régime d'oralité seconde (la culture est aussi écrite), les contes sont soit donnés hors de leur contexte d'énonciation, soit le cadre de l'échange oral est reconstruit, d'une façon ou d'une autre. Le mode le plus mimétique est alors la reconstitution plus ou moins imaginaire de la situation de communication première (le contage moderne et son pacte pragmatique) ou l'image plus ou moins illusionniste d'une scène réelle de contage. C'est ainsi que le fameux frontispice des Contes de Perrault 1 met sous nos yeux une conteuse en train de conter (et de filer) dans un espace domestique à l'adresse de trois jeunes personnes qui l'entourent et l'écoutent. En fait, la conteuse joue le rôle d'intermédiaire culturel entre le monde d'une oralité paysanne aux connotations mythiques-c'est une mère l'Oye (Privat, 2004, 23-52) 2et l'univers clos, urbain et bourgeois, où s'affiche le désir de récits fabuleux : « Si Peau d'Âne m'était conté / J'y prendrais un plaisir extrême. » La renommée de Perrault (en particulier) conjuguée à la fois au déclin historique des modes de contage les plus traditionnels, et à des usages plus ludiques ou pédagogiques des contes eux-mêmes, ont donné lieu à de surprenantes formes de réappropriation fictionnelle et de recomposition narrative. Le corpus que nous nous proposons d'étudier est constitué de deux planches de l'imagerie « populaire » du XIX e siècle à peu près contemporaines : 1) LA MERE L'OIE (Imagerie Pellerin, Épinal) 3 et 2) HISTOIRE DE LA MERE-L'OIE, ou le secret d'avoir de l'esprit (Imagerie Thomas, Metz). Cette gravure porte en exergue ou en sous-titre cette moralité rimée : « Petit à petit l'oiseau fait son nid, Petit à petit aussi vient l'esprit. Pour croire ce dicton qui longtemps se dira, Lisez ce conte, enfants, il vous le prouvera. » Le jeu de l'oye