En ce qui concerne l'interprétation du passé, peu de questions soulèvent autant de passion que celle du fascisme et du nazisme. On n'a qu'à songer ici à tous les débats qui, depuis les années 1980, agitent la France et l'Allemagne sur « le passé qui ne veut pas passer». À l'instar de toutes les sociétés occidentales, le Québec n'échappe pas aux retours de mémoire douloureux sur son histoire. Ainsi, même si certains travaux réalisés par des chercheurs de la nouvelle génération permettent de mieux comprendre l'atmosphère intellectuelle de l' entre-deux-guerres 1 , il n'empêche que l'évaluation de l'importance de la « tentation fasciste » 2 au Québec-c'est-à-dire de savoir jusqu'à quel point et pourquoi l'élite intellectuelle canadienne-française, notamment cléricale, a été charmée par la montée des régimes fascistes et autoritaires des années 1920 et 1930-reste encore un sujet chaudement débattu. C'est assurément la pensée de Lionel Groulx qui, à cet égard, a fait l'objet de plus d'interrogations ou de spéculations, qu'on pense à la vive controverse suscitée par la parution de l'ouvrage d'Esther Delisle ou encore à la polémique que le mémoire de maîtrise de Pierre Asselin à la fin des années 1990 avait ranimée3. Or les récents débats autour de l' oeuvre de Lionel Groulx, plus particulièrement les travaux de Gérard Bouchard, ont eu pour effet de raviver la question du caractère fasciste de la pensée du chanoine. Aux yeux de G. Bouchard, on le sait, il n'existe pas un seul Groulx, mais deux. D'une part, il y a le premier Groulx, sorte de Dr. Jekyll canadien-français, libéral, démocrate, qui dénonce l'antisémitisme; d'autre part, il y a le second Groulx, celui qui présente le visage sombre de Mr. Hyde et qui se rapproche du fascisme 4 • Reconnaissant les différences existant entre Salazar et Hitler, Bouchard affirme Association québécoise d'histoire politique 148