L'aliénation mentale et la maladie mentale : les fondements d'une circulation des savoirs en Egypte au XIXe siècle

Abstract

Différents savoirs sur la folie, relevant de champs de connaissance, de savoir-faire et d'enjeux divers, se sont confrontés, dans des rapports de forces socio-politiques liés à l'histoire de l'Egypte du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. C'est dans ce contexte que l'on peut situer la constitution d'une nosographie des maladies mentales pour les aliénistes français et la fondation d'une institution psychiatrique pour les aliénistes britanniques ou encore le déjouement des ruses des recrues de l'armée par les administrateurs égyptiens appliquant les nouveaux savoirs relatifs aux maladies mentales. Ces savoirs contribuent à la mise en place d'un double dispositif législatif et institutionnel (prison/asile) où se côtoient constamment les criminels et les malades mentaux. Les bouleversements économiques et sociaux liés aux mesures d'un pouvoir colonial qui se met en place ont pour conséquence la recrudescence des pratiques liées à une religiosité populaire mais aussi l'émergence de nouvelles pratiques (le zâr) parmi les couches de la population les plus vulnérables (paysans et petit peuple urbain). Ces pratiques interrogent autant les " éduqués " militant pour une certaine idée de la modernisation que les " lettrés " réformateurs de Al Azhar .... Cet article tente de démêler les relations entre ces différents regards portés sur le champ de l'aliénation mentale, d'en saisir les traces laissées dans l'histoire de la pratique asilaire en Egypte et dans la difficulté d'élaborer la notion de malade mental, objet et sujet de soins.

L’aliénation mentale devant les juges égyptiens pendant la période de tutelle britannique

“…Ce tableau juridique et judiciaire rapidement brossé, il nous faut à présent esquisser le recours aux catégories de la psychologie et de la psychiatrie modernes en Égypte. Avec la création d'un service spécialisé de l'hôpital général de l'Azbakiyya, puis la création de l'asile de Boulaq en 1856, et enfin de l'hôpital asilaire d'al-'Abbasiyya, en 1880, il est possible de distinguer le passage à une conception clinique de la folie, comprenant une étiologie, un diagnostic et une thérapie spécifiques 15 . Dès ce moment, la psychiatrie s'est développée, en Égypte, au même rythme que la psychiatrie européenne, caractérisée par la création d'un nouveau système de soins prétendant à une assise scientifique.…”