International audienceLe dialogisme a-t -il une place en langue ? Ou, plus exactement, le dialogisme qui – si l'on en croit Bakhtine – ne relève pas de la linguistique, mais de ce qu'il appelle la « translinguistique », est-il un fait purement discursif sans aucun soubassement linguistique, ou a-t -il un support en langue ? L'hypothèse qui sous-tend cette contribution est que le dialogisme, cette présence dans un énoncé d'autres voix porteuses d'énoncés auxquels l'énoncé en cours fait écho, est à ce point inhérent au langage humain qu'il ne saurait reposer sur de simples effets contextuels liés à l'actualisation en discours, mais qu'il doit nécessairement s'appuyer, en amont de la production langagière, sur des opérations énonciatives stables qui ont intégré et formalisé en langue ce processus dialogique. L'objectif de l'article sera donc de cerner ces opérations et d'analyser leurs rapports avec le fait dialogique. Car même si le dialogisme est un phénomène très couvrant et polymorphe, son expression et son interprétation sont nécessairement portées par des marqueurs, dont certains manifestent avec lui des affinités privilégiées ; dans le cadre de la Théorie des Opérations Enonciatives (TOE) développée par A. Culioli, les marqueurs sont conçus comme les traces d'opérations énonciatives primaires, qui ont un statut linguistique et dont les diverses configurations définissent le signifié de base de chaque marqueur. On voit ici en quoi le questionnement liminaire va pouvoir alimenter une réflexion sur les liens entre dialogisme et grammaire : car, sans occulter que le dialogisme traverse aussi le lexique, on constate que la liste des marqueurs privilégiés jusqu'ici répertoriés est principalement constituée de marqueurs grammaticaux . La réponse à la question initialement posée passera donc par l’étude de quelques-uns d’entre eux et par la recherche de ce que Culioli appelle leur « forme schématique », dans l’espoir de mettre au jour ce dont ils sont constamment et unanimement la trace : leur éventuel point commun pourra, s’il est sémantiquement et énonciativement pertinent, fournir l’ancrage linguistique du dialogisme. Conséquemment, cet examen permettra peut-être de mieux appréhender où passe la frontière entre ce qui, au sein de la grammaire est nécessairement dialogique et ce qui peut ne pas l’être. Le propos sera illustré par l'étude des connecteurs français "quand même" et "quand bien même", par celle des formes de comparaison avec altérité, ainsi que quelques autres marqueurs d'altérité tels que l'imparfait ou les hypothétiques en "si"