Au cours de ma soutenance de thèse, il y a quelques années, Pierre Lemonnier me posa à la volée une question que je n'ai, depuis, cessé de me remémorer : « Qu'est-ce qui fait que ça tient, pour eux, ce qu'ils font ? » Il est vrai que l'assemblage rituel qui était au coeur de mon ethnographie était remarquablement inhabituel. Des collectifs se désignant comme associations culturelles avaient créé, à Tahiti, des cérémonies afin de « réveiller la culture », se redécouvrir soi-même et réparer la société. Ce revivalisme réinterprétait les rares descriptions des pratiques religieuses préchrétiennes, en y associant de manière implicite des inspirations de type New Age, des logiques chrétiennes -essentiellement issues du protestantisme tel qu'il s'est instauré suite à la christianisation au début du XIX e siècle -et une revalorisation de l'ancestralité qui, depuis cette période, avait été associée à la sorcellerie et à l'imputation du malheur (Babadzan 1982). L'ensemble ne se voulait de surcroît ni « folklorique » ni « religieux » au sens où, lors de ces cérémonies, l'interaction avec les ancêtres était considérée comme effective, bien que leur « vouer un culte » soit jugé inapproprié. Ne sachant quels aspects privilégier, et conséquemment à quel domaine thématique me référer en priorité, que ce soit l'anthropologie du politique, du fait religieux ou de l'ethnicité, je m'étais concentré sur les pratiques. J'avais scrupuleusement analysé l'entrelacement des différentes logiques rituelles, leurs ressorts historiques et sociologiques.
1Mais la question de Pierre Lemonnier touchait un point névralgique : comment des éléments aussi divers se trouvaient-ils appareillés ensemble ? Bien sûr, il n'est pas rare que les rituels agrègent des objets, des gestes et des paroles d'origines disparates. Ces cérémonies sont pourtant exceptionnelles, au sens où elles « tiennent » ensemble des logiques généralement observées séparément et considérées comme antithétiques. Elles combinent en effet des modalités rituelles de facture « classique » et des dispositifs de néoritualisation 1 , souvent positionnés de part et d'autre des grandes mutations sociales du XX e siècle. Ainsi, le rituel, dont la routine et la conformité définissent l'efficacité, devient, dans certains contextes contemporains, l'espace de toutes les expérimentations à travers des parcours personnalisés de consommation, de bricolage ou de braconnage du croire (Lyon 2000, Mary 2001, Magliocco 2004À quoi ça tient ?Techniques & Culture , Suppléments aux numéros