Résumé
Depuis les années 1970, Andrew Abbott a construit une oeuvre originale et ambitieuse. Il a notamment prôné le développement d'une sociologie « processuelle » réactivant les principaux préceptes de la tradition sociologique de Chicago, quelque peu oubliés selon lui. Contre l'abstraction fonctionnaliste, contre le « paradigme des variables », il relève l'intérêt de cette tradition pour l'étude des schèmes d'interaction et de leurs contextes, et approfondit la réflexion sur leur caractère situé en s'intéressant à leur inscription dans des séquences dont on peut formaliser la succession. Il s'agit aussi d'articuler des processus se déroulant à des rythmes et des niveaux différents. Ce projet s'appuie sur l'identification de la texture du monde social à celle d'un « monde d'événements », dans lequel « le changement est la nature normale des choses » et non « quelque chose qui arrive occasionnellement à des acteurs sociaux stables ». L'enquête doit donc permettre d'expliquer l'émergence et la pérennité d'entités sociales (par exemple des professions ou des disciplines) dans ce flux d'événements. L'originalité consiste ainsi à fonder une conception institutionnaliste des réalités sociales sur une pensée du mouvement permanent.
Marqué par la philosophie pragmatiste états-unienne, mais également taraudé par la question de l'ordre et des structures sociales, A. Abbott livre des propositions encore mal connues pour saisir la variété des contextes et temporalités des processus qui, en croisant divers « lignages » d'événements, constituent les traditions et entités sociales. Cet article présente ces propositions et l'environnement intellectuel dans lequel elles ont émergé. Il interroge aussi la place donnée à la contingence et à l'acteur individuel dans l'approche processuelle – qui permet, selon A. Abbott, d'oeuvrer à la synthèse de l'histoire et de la sociologie.