Des indigènes au Cap Horn : conquête d'un territoire et modèle de peuplement aux confins du continent sud-américain

Abstract

Une expédition archéologique a permis de découvrir récemment une quarantaine de campements de nomades marins (Indios canoeros) au sud de l'île Navarino (dans le seno Grandi où un site fut daté de 6120 ± 80 BP), et une trentaine dans l'archipel du Cap Horn, où le plus ancien, Bayly 1 fut daté de 680 ± 60 BP. A partir de sondages effectués dans l'ensemble des sites découverts, de l'estimation de leurs dimensions, et avec l'aide des documents ethno-historiques, l'auteur a tenté de reconstituer le processus de peuplement de cette région extrême. Un modèle d'occupation de l'espace est ainsi mis en évidence à partir de camps de base fondés sur l'exploitation des mollusques (Grandi 1), et de sites de chasse temporaires diversement spécialisés (les sites de l'archipel du Cap Horn sont spécialisés dans la chasse aux oiseaux). Ce modèle, plus structuré que ne le laissaient prévoir les données ethno-historiques, pourrait représenter le fondement du peuplement des archipels : les sites de base représentant le centre d'un rayonnement logistique permettant d'accéder à de nouvelles régions où parmi de nouveaux sites temporaires, l'un émergera, se transformant à nouveau en camp de base destiné à l'exploitation d'un territoire plus lointain. C'est ainsi qu'à partir du centre de peuplement du canal Murray/Ushuaïa, les indigènes auraient atteint très vite le seno Grandi où ils restèrent bloqués pendant près de cinq millénaires avant de franchir le dernier pas (sans doute par l'intermédiaire d'une autre base sur la côte est de l'île Hoste) et de parvenir au Cap Horn. Il est à noter que ce processus reste envisagé dans un contexte de pur nomadisme où les camps de base ne seront que des lieux occupés plus souvent et par un plus grand nombre de personnes que les camps temporaires. Le processus de sédentarisation souvent évoqué à propos des sites à consommation de mollusques (Pérou, Chili du nord, Californie...) n'est pas pertinent ici.

The oldest human remains from the Beagle Channel region, Tierra del Fuego

“…Rooted in the 'Maximum Possible Antiquity' hypothesis (Orquera & Piana, 1988), the archaeological perspective strongly suggests that the infant that lost the IMI 384 tooth crown was part of a stock of 'sea nomad' pioneers who, some 6700-6500 years BP, entered the area already culturally and technologically equipped and pre-adapted to a littoral environment, following the post-Pleistocene climatic changes that allowed the expansion of woods as raw material indispensable to sustain a sea-dependent lifestyle, and probably coming from the south Pacific islands of present-day Chile (Orquera & Piana, 1988, 1999bLegoupil, 1995;Ocampo et al, 1999; for alternative scenarios, see Lanata, 2002).…”

“…The first unambiguous evidence for a seanomadic adaptation comes from the sites of Aridos Guerrico (6495 AE 60 BP; Ocampo & Rivas, 2000), Imiwaia I (6490 AE 120 BP on shells, 5870 AE 145 BP on charcoal; Orquera & Piana, 2000a), Tú nel I Second Component (6400-5800 BP; Orquera & Piana, 1999b), Grandi 1 (6160 AE 100 BP, 6120 AE 80 BP; Legoupil, 1994Legoupil, , 1995 and Lomada Alta Olivia (5600 AE 125 BP, unpublished) 1 (Figure 1). The archaeological evidence displays a tool-kit fully developed for intensive use of the regional sea resources and the raw materials they provided.…”

Les amas coquilliers du site Imiwaia I (Canal Beagle, Argentine). Étude des coquilles Mytilus edulis au moyen de la FTIR-ATR

“…Amorcées par les études de Lothrop (1928), l'archéologie de la Terre de Feu débute réellement avec les fouilles successives (1932)(1933)(1934)(1935)(1936)(1937) de l'américain Junius Bird (1938Bird ( , 1946. Ce dernier estimait les occupations côtières à deux millénaires (Legoupil, 1995). Ce n'est que récemment que l'occupation humaine dans la région a été datée par la présence de traces lithiques laissées par des chasseurs dans la couche S du site Imiwaia I (7840 AE 50 B.P.)…”

“…visiblement non liés à l'activité côtière . Selon des caractéristiques économiques et géo-topograhiques, Legoupil (1995) distingue dans la région deux types de sites pour ces chasseurs-cueilleurs-marins. D'une part, des « camps de base » dont le système économique est basé sur la constance et la facilité d'obtenir des ressources alimentaires tout au long de l'année comme par exemple les coquillages.…”

“…et à 3 % d'autres gastéropodes . Selon le schéma économique proposé par Legoupil (1995), les sites comportant une très grande quantité de coquillages (essentiellement des moules et quelques gastéropodes) traduisent une société orientée sur la collecte et de ce fait correspondent à des « camps de base », contrairement aux camps dits « temporaires » davantage axés vers la chasse. L'auteur précise que l'exploitation myticole et l'élaboration de camps de base n'ont pas entraîné la sédentarisation de ces populations nomades pour deux raisons essentielles : le risque d'épuiser les ressources (bancs) qui ne pourraient pas supporter une population de grande ampleur et le bénéfice des aliments carnés à fort pouvoir protéique.…”