La « matrice catholique » des enquêtes de consommation à l'Institut National d'Hygiène (1945)(1946)(1947)(1948)(1949)(1950)(1951)(1952)(1953)(1954)(1955)(1956)(1957)(1958)(1959)(1960)(1961)(1962)(1963)(1964) Jusqu'aux années 1930, la mesure des consommations alimentaires en France relève principalement d'enquêtes menées par des philanthropes ou des universitaires, préoccupés de déterminer le coût et les niveaux de vie des classes populaires (Desrosières, 2003 ;Lhuissier, 2020) 1 . En 1937, sous l'impulsion de la Société des nations, la France se dote d'un dispositif d'enquêtes nutritionnelles calqué sur le modèle des « dietary surveys » américaines (Lhuissier, 2013). Celui-ci est hébergé au sein de la Société scientifique d'hygiène alimentaire (SSHA) qui est, depuis le début du XX e siècle, le principal lieu d'élaboration de « l'alimentation rationnelle », discipline qui vise à mesurer les rapports entre les dépenses physiologiques et les dépenses alimentaires (Depecker, 2014). L'objectif des enquêtes de la SSHA, promouvoir la notion de « ration » dans l'approche quantitative des consommations alimentaires, se trouve néanmoins remis en cause après la création en 1940 du nouvel Institut de recherche d'hygiène (IRH) à Marseille, qui réoriente les enquêtes nutritionnelles réalisées en France 2 .Les critiques soulevées par ce nouvel institut portent sur les normes de nutrition et les usages politiques des enquêtes contemporaines. Elles sont plus particulièrement formulées par l'un de ses cadres, Jean Trémolières (1913Trémolières ( -1976, jeune médecin catholique recruté par défaut à la tête de la section nutrition de l'Institut national d'hygiène (INH, qui remplace l'IRH en 1941) après la démobilisation 3 . Embauché à l'INH pour pallier le départ des membres fondateurs de cet institut, des Américains de la Rockefeller Foundation Health Commission to Europe, il y propose une refonte des enquêtes qui tranche, à la fois dans les usages et questionnements et dans les outils utilisés, avec celles préalablement réalisées par la SSHA ou même celles initiées par son propre institut. Jean Trémolières va en effet s'inscrire tant à rebours du mouvement de quantification de l'alimentation tel qu'il s'élabore dans l'appareil statistique national d'après-guerre, que de celui de diffusion de normes de conduites 1 Cette recherche a été financée par INRAE et le CNRS dans le cadre de l'action conjointe « Mutations alimentaires 2019 » (projet « Cath-conso »).