Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Tous droits réservés Les Slaves du Sud et la Mitteleuropa ZORAN KONSTANTINOVIĆ Il faut mettre le terme « Mitteleuropa » entre guillemets pour qu'il se charge de toutes les connotations qui en font plus qu'un concept pure ment géographique. Cela vaut aussi quand on parle de 1' « Europe cen trale » en français ou de la Central Europe en anglais. La précision séman tique est encore plus manifeste dans ces deux langues-et dans toutes les autres-quand on emploie le terme allemand de Mitteleuropa-ou du moins quand on parle, en anglais, de Middle Europe. Mais ces connota tions sont très diverses et stratifiées, elles se dirigent simultanément dans les directions les plus différentes. Je voudrais les rassembler ci-dessous en cinq groupes, pour permettre d'en avoir une meilleure idée, et en me situant dans l'optique spécifique des Slaves du Sud. L'emblème du premier groupe est un livre auquel son auteur, Friedrich Naumann, a donné un titre lapidaire, Mitteleuropa, et qui a paru à Berlin en 1915. Cet ouvrage se fondait sur la ferme conviction que l'Empire germanique remporterait la victoire et exercerait sans aucun doute, après la guerre, sa prédominance sur un vaste domaine géographique ; celui-ci, dénommé Mitteleuropa, devrait être le quatrième Etat mondial, aux côtés de la Grande-Bretagne, de l'Amérique et de la Russie (p. 167). Cette Mitteleuropa, écrivait-il, « sera allemande en son coeur, utilisera d'elle-même l'allemand comme langue mondiale et langue de communication, mais devra, dès le premier jour, faire preuve d'esprit de conciliation et de souplesse à l'égard des langues voisines concernées, parce que c'est la seule manière d'instaurer la grande harmonie » (p. 8). Parmi ces langues voisines, il cite aussi « le croate au Sud, le tchèque en Bohême, le magyar, le roumain, le polonais au Sud-Est et à l'Est » (p. 60). Mais rassembler tout cela en un « organisme historique et étatique » lui semble être « une tâche de grands façonneurs d'Etats » (p. 61). Il imagine autour de cette grande structure des « Etats-trabans », dont le rapport avec la Mitteleuropa n'est pas encore fixé, mais qui ne pourront se maintenir sous forme de « petits potentats intacts », c'est-à-dire préserver leur