L’article présente les résultats d’une étude qualitative menée auprès de 31 intervenants et intervenantes qui travaillent en protection de l’enfance au Québec. Elle porte sur les conséquences des difficultés émotionnelles des intervenants sur leurs relations avec les gestionnaires et les collègues de travail, dans le contexte de la réforme du réseau de la santé et des services sociaux (projet de loi 10). Les résultats montrent qu’une large majorité d’intervenants et intervenantes rapportent une ou plusieurs conséquences délétères dans les relations avec les gestionnaires (colère et frustration, méfiance à l’égard d’une possible instrumentalisation des difficultés émotionnelles, évitement et perte de confiance). Également, une proportion très significative d’entre eux font état de conséquences à l’échelle des relations avec les collègues de travail (isolement et retrait, effet boule de neige sur les collègues et l’équipe de travail et diminution de la collaboration et de l’entraide). L’analyse montre que l’intensification du travail et la dégradation des conditions de pratique des intervenantes et intervenants sociaux, qui ont résulté de la dernière réforme (projet de loi 10) instituée par le ministre Barrette (2013), ont significativement contribué à fragiliser les collectifs de travail. Ce faisant, les possibilités d’entraide et de coopération, pourtant nécessaires à la réalisation de leur mandat professionnel, ont tendance à s’effacer au profit d’une activité professionnelle pratiquée par des travailleuses et travailleurs isolés et en souffrance.
Précis
Les services de la protection de l’enfance au Québec ont connu des restructurations majeures dans la foulée des deux plus récentes réformes du réseau de la santé et des services sociaux. Fortement inspirées par les principes de la nouvelle gestion publique, ces réformes, pilotées tour à tour par les ministres Philippe Couillard (2004) et Gaétan Barrette (2013), visaient un rehaussement de la productivité ainsi qu’une réduction des coûts des services sociaux et de santé. Les études montrent aujourd’hui qu’elles ont aussi signifié plusieurs conséquences négatives pour les travailleurs et travailleuses, notamment en lien avec l’intensification du travail et la dégradation des conditions de travail. L’analyse montre que les difficultés émotionnelles des intervenants sociaux qui travaillent en protection de l’enfance se répercutent sur leurs relations professionnelles avec les gestionnaires, mais aussi sur leurs relations avec les collègues. Perçues comme conflictuelles et en déficit de coopération et d’entraide, les relations professionnelles avec les collègues sont symptomatiques de collectifs de travail fragilisés, moins à même de protéger la santé des intervenants et intervenantes.
Les difficultés émotionnelles et psychologiques des intervenants en protection de l’enfance ont fait l’objet de quelques études au cours des dernières années. Après avoir présenté les principaux modèles théoriques qui ont jusqu’ici été utilisés pour analyser ce phénomène, cet article discute de la pertinence de la contribution de la sociologie clinique et interactionniste. Cette perspective d’analyse ouvre de nouvelles avenues de recherche encore peu explorées à ce jour qui promettent d’améliorer la compréhension des difficultés vécues par les intervenants en protection de l’enfance.
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