L’anthropologie historique a été définie comme une histoire du collectif contre une histoire-récit, turbulente et élitiste. L’avènement de l’« histoire de l’ordinaire » ouvre un paradoxe car les conditions du savoir historique, telles que le document ou la transmission, ainsi que l’écriture même de l’histoire, sont largement sous le signe de la discontinuité et de l’exceptionnel. Ainsi, tandis qu’il existe un savoir historique qu’on peut appeler homologique (où l’objet étudié est conforme aux moyens de son étude), l’historien anthropologue, lui, met en œuvre une contre-histoire, un savoir asymétrique. Cela comporte un saut épistémologique redoutable. Un certain nombre de réflexions récentes sur l’histoire résultent directement de cette inversion constitutive: par exemple, la question de la représentativité des corpus et des cas isolés ; l’interrogation sur d’objet de la connaissance historique, si ce n’est ni le singulier ni l’universel ; la poursuite du décentrage « politique », vers une histoire par le dehors. L’opposition entre les deux historiographies, celle que l’on dit traditionnelle, des institutions et des dates, et l’autre plus égalitaire et anthropologique, n’est-elle pas ainsi, au moins conceptuellement, dépassée ? Et dès lors, n’est-on pas entré, depuis quelques décennies, dans un troisième paradigme, dont l’anthropologie historique fait partie, est ici ou là sur le front ? On le suggérera : à présent, on a affaire à des événements-symptôme, les structures sont en action, il y a des individus-civilisation. Au-delà des acquis que constitue le fait de ne pas se limiter aux aspects conscients ou de faire parler les autres, ce régime de scientificité a ceci d’intarissable que la recherche elle-même – nos catégories, notre vocabulaire, nos pratiques – est pour lui objet de recherche.
Historical anthropology has been defined as a history of the collective as opposed to a political and elitist narrative history. The advent of “a history of the ordinary” has exposed a paradox because the conditions of historical knowledge, such as documentary evidence or transmission, as well as the writing of history, are focused on discontinuity and the exceptional. While there is a historical knowledge that one might call homologous (where the object of study conforms to the means of its examination), the historical anthropologist himself engages with a counter history, or an asymmetrical knowledge. This brings with it a formidable epistemological leap. A number of recent reflections on history directly result from this constitutive inversion: for example, the way a corpus or isolated cases may be or may not be representative; the investigation of the object of historical understanding, be it neither singular nor universal; the consequence of “political” decentralization towards a history from the outside. The opposition between these two historiographies, one considered traditional, investigating dates and institutions, and the other more egalitarian and anthropological – is not this gap, at least conceptually, alread...