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Doctorant à l'Université de Provence « Il est inutile de scruter les oeuvres des mystiques musulmans si l'on n'étudie pas de très près le mécanisme de la grammaire arabe, lexicographie, morphologie et syntaxe. Ces auteurs rattachent constamment les termes techniques qu'il proposent à leurs valeurs ordinaires, à l'usage courant constaté par les grammairiens ».Louis Massignon 1 A. LE MÉTALANGAGE DE LA GRAMMAIRE ARABE.M.G. Carter, dans son article sur les origines de la grammaire arabe 2 , s'interroge sur l'origine du lexique technique de la grammaire. Les grammairiens arabes, dans la recherche d'un double langage technique capable de rendre les « objets » linguistiques ainsi que leur relations, ont opté pour un métalangage de surprenante simplicité, qui ne montre pas toujours un lien logique avec la réalité linguistique qu'il est censé décrire 3 . Carter note aussi un autre élément caractéristique de la langue arabe, reflet possible d'une arabica forma mentis : le rapprochement entre comportement humain et le mouvement le long d 'une ligne, d'une direction. Šarīʿa, ṣirāṭ mustaqīm, ṭarīqa, sīra, maḏhab, dalīl Kees Versteegh partage sur ce point le même avis que Carter, lorsqu'il écrit que les grammairiens arabes décrivent les éléments du langage comme dans une relation de force/ faiblesse. Leur terminologie décrit les faits linguistiques sous la forme d'une société de mots, une société caractérisée par une compétition entre éléments forts et éléments faibles. La force dans le système linguistique implique des « droits » d'un élément et son pouvoir sur les autres. Le langage est donc analysé comme la société humaine, fondée sur des relations de force entre ses composantes. Ce passage est possible selon Versteegh parce que les anciens philologues regardaient la grammaire comme une structure cohérente, dont les arguments pouvaient être appliqués en croisant les catégories et les éléments : une ressemblance dans une partie de la structure peut être utilisée pour expliquer une autre partie de la structure. Considérant la cohérence structurelle de la création, les savants islamiques n'ont pas vu d'objection au fait d'emprunter des arguments tirés des sciences exactes -ou socialespour expliquer des phénomènes linguistiques. Le langage fait partie de la création et obéit selon ce principe aux mêmes lois qui la régissent 6 . En plus de la terminologie éthique (comme les termes qui décrivent le degré d'exactitude d'une affirmation ou de correction d 'un comportement : ḥasan, qabīḥ, mustaqīm, muḥāl), Sībawayh utilise des termes d'origine légale : qiyās, ḫiyār, ḥadd, etc. Le langage, métaphore très concrète d'une société, reflète aussi la loi qui la régit : les questions juridiques ont comme fondement une compréhension exacte des textes normatifs. Dans le Naḥw al-qulūb de Qušayrī, on perçoit la continuité de cet esprit ancien qui justifie le passage d'une discipline à l'autre. L'apparat des règles qui gère la langue, sans être le même de celui de l'âme, peut être appliqué à cette dernière selon une loi d...