Sac à vin, oeil de chien, coeur de cerf ! » L'Iliade s'ouvre, comme chacun sait, sur un torrent d'injures proférées par Achille à l'encontre d'Agamemnon qui l'a privé de sa part de butin -la belle Briséis. Loin d'être anecdotique, ce déchaînement verbal permet de poser, en guise de préambule, une série de questions fondamentales sur le rôle des paroles menaçantes dans le monde grec archaïque et classique 1 .
2Pour commencer, cette séquence inaugurale met en lumière la dimension processuelle du sujet. Car les paroles menaçantes n'éclatent jamais comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais s'inscrivent toujours dans des cycles d'actions et de réactions plus ou moins longs. En l'espèce, si le poème commence avec la fureur (mènis) d'Achille, cette colère en renvoie à d'autres en miroir et, en premier lieu, au courroux d'Apollon, outragé par le sort réservé à son prêtre Chrysès (v. 43 et 74), dont la fille Chryséis est tenue captive par Agamemnon. C'est là le début d'un cycle infernal : tandis que la mort rôde dans le camp achéen, le devin Calchas révèle à Agamemnon les raisons de la colère divine (v. 101 sq.). Le roi se sent outragé par ces paroles de mauvais augure, qu'il interprète comme des injures faites à son honneur (timè). Saisi par la colère, Agamemnon décide alors d'humilier Achille, son meilleur combattant, en exigeant qu'il lui donne sa propre captive, Briséis, de manière à compenser le renvoi de Chryséis à son père. C'est là que vient s'intercaler le flot d'insultes lancées contre Agamemnon par Achille qui fait ensuite le « grand serment » (mega horkos) de ne plus combattre dans les rangs des Achéens. Dans cette séquence, l'insulte apparaît donc comme un élément parmi d'autres dans un long cycle de « réciprocité négative », pour reprendre le vocabulaire cher aux anthropologues 2 .Paroles menaçantes et mots interdits en Grèce ancienne : approches anthropolo...
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