Baudelaire fut critique de lui-même de bien des façons. Il le fut en affirmant dans une lettre à sa mère, le 8 juillet 1857, sa certitude de compter, dans l'avenir, parmi les plus grands poètes de son siècle-il se compare à Hugo, à Gautier, à Byron 1. Il le fut en faisant imprimer une note préventive, jointe à la section « Révolte » de la première édition des Fleurs du Mal, pour que le lecteur ne se leurre pas sur le sens à donner à ce mot. Il l'est encore dans une autre note, ajoutée dans Les Épaves en 1866, où il réfute le sens « syphilitique » que ses juges, en 1857, avaient implicitement accordé à l'un des poèmes condamnés, À celle qui est trop gaie. Il le fut, dans le même but, en publiant dans La Presse, le 26 août 1862, une lettre-préface à Arsène Houssaye, expliquant ce qu'il a voulu faire en composant des poèmes en prose. Il le fut encore, sur le même sujet, lorsqu'il dicte au rédacteur en chef du Figaro, Gustave Bourdin, quelques lignes publiées dans le journal, le 7 février 1864. Il fut surtout critique de lui-même en pratiquant la critique dans des préfaces ou dans des articles consacrés à des écrivains qu'il admire, Poe, Gautier, Banville, Leconte de Lisle… Tout est dit de cette disposition à l'autocritique indirecte dans une petite phrase d'une lettre à Théophile Thoré, le 20 juin 1864 : « Savez-vous pourquoi j'ai si patiemment traduit Poe ? Parce qu'il me ressemblait » 2. Thoré vient de faire paraître un article sur Manet dans L'Indépendance belge. Il y explique que le jeune espoir de la nouvelle peinture ne fait qu'imiter les peintres espagnols. Baudelaire se sent provoqué : ce qu'il sait et comprend de Manet lui paraît incompatible avec cette hypothèse d'un défaut d'originalité. Thoré a même parlé de pastiche. Baudelaire lui réplique : Le mot pastiche n'est pas juste. M. Manet n'a jamais vu de Goya,-M. Manet n'a jamais vu de Gréco ; M. Manet n'a jamais vu la galerie Pourtalès. Cela vous paraît incroyable, mais cela est vrai. 3 Manet était un enfant lorsque la collection de peinture espagnole de Louis-Philippe était visible au Louvre-« la galerie Pourtalès ». Il ne peut s'être inspiré de tableaux qu'il n'a jamais vus. Baudelaire avoue ou fait mine d'avouer que cela peut paraître « incroyable » :