Qu'est-ce qu'un « livre » dans la Rome ancienne, et principalement à la fin de la République ? Sous quelle forme matérielle se présente-t-il ? Comment est-il fabriqué, reproduit et mis à la disposition du public ? À ces questions l'oeuvre de Catulle propose un certain nombre de réponses, qui témoignent d'abord de l'intérêt pour ainsi dire « bibliophilique » qu'il porte au livre en tant qu'objet ; bien sûr, à travers ces notations concrètes, ce sont surtout ses idées sur la création littéraire qu'exprime le poète, comme aussi ses enthousiasmes ou ses aversions pour les auteurs de son temps, et, finalement, son ambition de conquérir la gloire immortelle des Lettres. Une telle ambition apparaît d'autant plus grande que si C. Valerius Catullus, déjà âgé de 27 ans, avait certes intégré en Bithynie l'état-major du préteur C. Memmius, la déception que lui causa cette mission semble l'avoir convaincu de renoncer définitivement à l'exercice des magistratures et de poursuivre sur la voie exclusive de la création poétique 1 . De fait, bien qu'il soit difficile d'apprécier dans quelle mesure les épigrammes infamantes de Catulle contre César, Pompée, Mamurra ou Vatinius 2 témoignent de sa part d'une prise de conscience devant les périls que représentaient pour la République les menées de l'ambition 3 , il semble en revanche bien établi que les querelles du Forum, pas plus que les champs de bataille, n'ont constitué à ses yeux le terrain le plus propice à des succès durables. Son cas est de ce point de vue assez singulier, comparé à celui des autres noui poetae (des autres « novateurs »), tels Licinius Calvus ou Helvius Cinna, eux qui, pour avoir été poètes, n'en sont pas moins connus respectivement comme orateur 4 et comme tribun de la plèbe 5 .
2C'est donc au livre et à la vie littéraire que nous nous intéresserons, en relisant quelques-uns des poèmes les plus passionnés que Catulle ait composés 6 . On ne s'étonnera pas que la majorité d'entre eux figurent parmi les polymètres de la première partie de son oeuvre et les distiques élégiaques de la troisième, plutôt que parmi les docta carmina réunis au centre de l'ouvrage : c'est que les polymètres et les distiques Le livre et la vie littéraire à Rome d'après les poèmes de Catulle