On sait que les regards portés sur les paysages urbains sont des constructions sociales. On sait également qu'ils sont étroitement associés à des classements sociaux (Ledrut, 1968). Mais, dans un ouvrage qui a fait date, Landscapes of Power, paru en 1991, Sharon Zukin est allée au-delà en proposant de lier les mutations sociologiques des espaces urbains aux évolutions de leurs paysages. Elle suggère que ces évolutions sont liées à une concurrence entre groupes sociaux pour l'appropriation des espaces les plus recherchés.Cet article utilise ce cadre analytique pour étudier le « retour à la rue ». Ce courant urbanistique a incarné à partir des années 1960 le reflux de l'urbanisme moderne. De fait, Le Corbusier et les CIAM avaient fait de la disparition de la rue traditionnelle le symbole du changement qu'ils prônaient. La rue leur a rendu cet honneur en devenant à son tour le symbole de la rupture avec le modernisme. Ce mouvement, amorcé dans les années 1960, s'est élaboré autour de réflexions à la fois sociologiques et paysagères. D'un côté, la rue est apparue comme le lieu où les citadins entrent en contact et où se fonde la culture urbaine. D'un autre côté, elle est apparue comme une forme organisatrice essentielle du tissu urbain traditionnel, au travers de laquelle les bâtiments se lient les uns aux autres et dessinent un 1 L'auteur remercie la lectrice ou le lecteur anonyme pour ses commentaires. L'auteur remercie également le LASMAS pour les données statistiques de l'INSEE qu'il lui a aimablement fournies.