Hélène Delaporte À Pirsoyianni, cette année encore, la place du village est pleine. Plus de trois cents personnes ont répondu présentes pour la fête patronale, le paniyiri.Depuis que les festivités ont commencé vers huit heures du soir, tout se déroule pour le mieux. Les différents groupes familiaux se succèdent sans discontinuer sur la place pour danser 1. Aux alentours de minuit, alors que la fête bat son plein, Antonis, un homme d'environ soixante-cinq ans, entre en piste. Celui que beaucoup appellent l'« Américain », parce qu'il vit au Texas où il a dû s'exiler très jeune, mène à son tour la danse en cercle ouvert à laquelle prennent part les membres de sa famille. Ensemble, ils enchaînent les danses les unes aux autres comme il se doit, formant ainsi une suite d'environ un quart d'heure qui s'achève par une chanson d'amour légère au tempo enlevé. Mais ce chant à peine terminé, une lamentation instrumentale tout à fait surprenante à cet instant retentit. La fête change alors brusquement de tonalité. Les premières notes de ce miroloï (littéralement : « discours sur le destin ») ont un effet saisissant. Beaucoup de villageois s'arrêtent de converser, leurs regards convergent vers les musiciens et Antonis pour comprendre ce qui se passe. C'est précisément à des instants comme celui-ci, où le rythme de la fête vacille, que le présent article entend s'attacher. Ces changements brusques attirent l'attention et provoquent, à des degrés divers, commentaires et émotions. Qu'elles interviennent à l'échelle d'une suite de danses ou à celle de l'architecture de la fête tout entière, ces ruptures de rythme relèvent toutes, semble-t-il, d'une même logique à l'oeuvre : opérer un retour au caractère vari (lourd, pesant, grave) du répertoire. Par l'analyse de l'intrication des différents paramètres entrant en jeu dans ces ruptures de rythme ainsi que des effets qu'elles produisent, j'émettrai l'hypothèse qu'elles constituent un trait central de l'esthétique épirote et, de ce fait, une clé essentielle à la compréhension de l'ethos de la fête. Le retour au vari comme ethos de la fête (Grèce) Cahiers de littérature orale, 73-74 | 2013