Problèmes d'énonciation et de temporalité dans le carmen 64 de Catulle

Abstract

Problèmes d'énonciation et de temporalité dans le carmen 64 de Catulle Le poème 64, dit des Noces de Thétis et de Pélée, occupe une place bien à part dans l'oeuvre de Catulle. C'est la plus longue production catullienne, qui s'insère, ou plutôt que la tradition insère, entre les deux poèmes épithalames 61 et 62 (61 : strophes en glyconiques et priapéens [strophes anacréontiques] en l'honneur du mariage de Manlius Torquatus et de Junie ; 62 : hymne nuptial amoebée en hexamètres) et une série de poèmes (65-68b) de mètre et de ton élégiaques (lamentations à l'occasion de la mort de son frère ; boucle de Bérénice ; paraclausithyron), et qui ont pu faire dire que Catulle était le premier élégiaque romain(1). Juste avant lui, de facture très étrange, le poème 63, en galliambes, narre la castration d'Attis. Ainsi le poème 64, par les personnages qui le composent et par ses hexamètres, est d'allure épique comme la pièce 63 (qui n'a pas le mètre de l'épopée), mais rappelle aussi, par son thème nuptial, les deux épithalames 61 et 62, et par son ton (les plaintes d'Ariane peuvent faire songer à une Héroïde) les petits poèmes élégiaques 65-68 b. Il est, de ce fait, particulièrement inclassable et on lui confère, faute de mieux, l'étiquette d'épyllion, c'est-à-dire de "mini-épopée". Notre objectif, dans cet article, est d'essayer d'éclairer la structure complexe de cette pièce en nous montrant attentif à la série de changements énonciatifs qui interviennent. STRUCTURE GLOBALE DU POEME1.1 Plan général : Le récit est lancé instantanément, avec des références sans équivoque au temps mythique (1 : quondam, 2 : dicuntur, 19 : fertur). Il s'interrompt brièvement (22-30) // (p. 39) pour laisser place à ce qui aurait pu ou dû être l'invocation aux dieux, Muses, héros, que les poétes épiques placent habituellement au seuil de l'oeuvre. Cette invocation traditionnelle, que Catulle fait aux héros et plus précisément à Pélée, n'est donc pas strictement liminaire, puisque le récit a commencé ex abrupto, mais porte les marques du genre, à savoir l'énonciation caractérisée par un dialogue entre un je et un tu ; ego, c'est invariablement le "poète", l'instance énonciative, tu, c'est la divinité inspiratrice (ἄνδρα μοι ἔννεπε, Μοῦσα…), le lecteur-destinataire (qui peut alors être implicite : arma uirumque cano…), le personnage mythique, comme dans le cas présent : Heroes, saluete […]. Vos ego […] compellabo, teque adeo […], Peleu… Sitôt après cette courte invocation, le "récit" reprend, jusqu'au vers 381. Les derniers vers, 382-408, avec leur ton moralisant digne d'un satiriste, sont un retour aux temps historiques, par l'intermédiaire d'un nouveau passage au "discours"(2), dans lequel ego et tu sont rassemblés dans un nobis (406) qui représente moi le poète et toi le lecteur ou plus généralement nous, les mortels des siècles de fer. Le changement de temporalité, c'est-à-dire le passage du temps de l'histoire au temps de l'écriture(3), est ici encore très nettement indiqué :