Solitude, désoeuvrement et conscience critique Les ressorts d'une recomposition des études juridiques européennes Loïc Azoulai Sciences Po La solitude du juriste européen C onsidérons la situation d'un jeune juriste qui s'engage dans les études européennes. Que se passe-t-il sous ses yeux ? Une Union en crise ; un droit accusé de produire de la division, de l'inégalité et de l'exclusion ; des études européennes vivement critiques vis-à-vis de leur objet. Il est difficile de ne pas éprouver ce que Daniel Thym, professeur de droit à l'Université de Constance, appelle « la solitude du droit européen fabriqué en Europe » 1. Le juriste européen ne peut que ressentir fortement la fragmentation de sa discipline en écoles nationales communiquant assez peu entre elles. Chez lui, il n'en a pas fini avec la critique du « droit venu d'ailleurs…. », celle qui veut que le droit européen coloniserait des matières qu'il n'est pas censé régir et dénature les objets qu'il touche 2. Si, toutefois, il décide de se réfugier dans le cercle étroit de la communauté des juristes transnationaux, qui fut pour des générations de juristes européens un abri confortable et stimulant, il ne trouvera que maigre consolation. Il lui faudra admettre que les évènements récents dont le processus d'intégration a été le théâtre ont démenti la manière dont sa discipline l'a défini : comme un processus naturel, rationnel et bénéfique pour le plus grand nombre. Le processus d'intégration subit sans doute actuellement sa crise la plus grave : à une crise économique et financière prolongée s'ajoutent, pour de nombreux États européens, une crise budgétaire, une crise de l'euro, une crise de la représentation politique, une crise identitaire et, dans certains pays comme la Hongrie, une crise des valeurs démocratiques. Dans ce contexte, la dévaluation du projet d'intégration et 1 . 2 Rappelons que nous devons cette formulation à l'un des grands juristes français du xx e siècle, Jean Carbonnier (1996).