L’alexandrin est indissolublement lié au succès du théâtre français classique. Le
caractère d’évidence qui semble les réunir n’a pourtant rien de naturel, et cette relation
s’inscrit en réalité dans une historicité où le politique a une part prépondérante. Nombre
de mystères demeurent lorsque l’on essaye d’expliquer pour quelle raison les dramaturges du
XVIe siècle ont favorisé ce vers alors peu usité, et réservé auparavant à des
usages très spécifiques – hormis durant une période où il fut à la mode, vers le
XIIIe siècle, pour le genre épique. Fortement lié à la traduction et à la
réappropriation de l’héritage théâtral antique, le choix de l’alexandrin a aussi une
indéniable portée politique : vers prestigieux d’abord, par sa rareté comme par ses usages,
il devient en outre associé, au cours du XVIe siècle, à la réinvention du modèle
de tragédie à l’antique. Du fait de son prestige, il devient facilement le vers par
excellence des personnages puissants, dont le statut social ne saurait être représenté sur
scène que dans une parole « altiloque », comme le dit Ronsard, dont l’alexandrin devient le
vecteur évident. Les auteurs ne cesseront, au fur et à mesure que le siècle se déroule, de
jouer des parallélismes qui peuvent exister entre les discours expressément politiques et
les tragédies (en témoignent par exemple les liens poétiques et politiques reliant chez
Garnier l’Hymne à la monarchie et plusieurs de ses pièces) : là encore, ils se
réapproprient les exigences de la rhétorique antique, sans ignorer que de telles exigences
valent pour une parole publique dont la portée politique n’est pas à mésestimer. Dès lors,
l’utilisation de plus en plus constante de l’alexandrin comme vers du dialogue
tragique devient une métaphore parfaite de la complexité de la chose politique, mise en
scène alors comme une somme fragmentaire de discours antithétiques, faisant du politique un
objet de représentations (dans tous les sens du terme) et de débats.