Le sous-sol des villes est structuré par plusieurs millénaires d’interactions société-environnement, qui ont créé les strates et sols urbains dont la puissance sédimentaire peut aujourd’hui dépasser une dizaine de mètres. Depuis une trentaine d’années, le développement de la géoarchéologie des environnements artificialisés, et l’application des géosciences à ces formations anthropogènes, a permis de caractériser les processus pédo-sédimentaires et les systèmes d’activités qui en sont à l’origine. Ainsi, il est possible de constater que les strates des Ve–XIe siècles sont majoritairement caractérisées par des couches de terre sombre, d’apparence homogène, épaisses de plusieurs dizaines de centimètres, voire de plusieurs mètres, qui se rencontrent dans tous les espaces urbains anciens d’Europe, depuis Moscou jusqu’à Séville. Cet article présente une synthèse des résultats obtenus par l’étude systématique de ces terres noires, à l’échelle de l’Europe. Les résultats ont été acquis en associant une approche géo-archéologique à des fouilles archéologiques détaillées, et l’application des méthodes de l’archéo-pédologie, de la sédimentologie, de la micromorphologie, de la géochimie (métaux lourds, matières organiques) sur les stratifications archéologiques. Sur plus d’une centaine de sites étudiés en Grande-Bretagne, en Belgique, en France, en Italie, il a été possible de constater que les processus conduisant à la formation de terres noires sont très nombreux, tous liés à une occupation humaine des lieux. La bioturbation joue un rôle important dans la structuration de ces dépôts, conduisant à l’effacement partiel des anciennes interfaces sédimentaires. Les terres noires sont très riches en matières organiques, en déchets issus d’activités humaines domestiques, artisanales, en excréments, ainsi qu’en matériaux architecturaux dégradés. Les terres noires présentent des teneurs en carbone organique très élevées par rapport aux autres formations urbaines anciennes, comprises entre 9 et 35,9 mg/kg. Elles sont polluées au phosphore (jusqu’à 20,34 g/kg) et aux métaux lourds. Les concentrations en plomb atteignent 1830 mg/kg. Ces données permettent de mieux comprendre le comportement urbain des sociétés du début du Moyen Âge, dans leur gestion des déchets, leur rapport à la matérialité des surfaces sur lesquelles elles circulent et comment s’organisent les activités dans les villes.