Inégalités sociales de santé et déni d'agenda. Portraits croisés de trois intellectuels spécifiques [à paraître dans le futur numéro de la RFAS]Frédéric Pierru Le 26 septembre 2020, Richard Horton, éditeur en chef du prestigieux Lancet, revue elle-même prise dans la tourmente des publications scientifiques relatives à la Covid-19, publiait un éditorial très politique qui a eu un grand écho dans le monde. Il y remet en cause l'usage de la notion de pandémie pour qualifier la crise sanitaire actuelle, au profit de celle de « syndémie » : « Deux catégories de maladies s'entremêlent dans certaines populations -l'infection par le SARS-Cov-2 avec des défaillances respiratoires sévères et un éventail de maladies non transmissibles. Ces situations se concentrent dans des groupes sociaux selon des schémas inégalitaires profondément ancrés dans nos sociétés. L'accumulation de ces maladies sur fond d'inégalités économiques et sociales amplifie les effets de chaque maladie. La Covid-19 n'est pas une pandémie. C'est une syndémie. […] Limiter les dégâts du SARS-Cov-2 demandera davantage d'attention aux maladies non transmissibles et aux inégalités socioéconomiques que cela n'a été le cas jusqu'alors. […] Les syndémies se caractérisent par l'intrication du social et du biologique, entre des situations [sociales] et des états [de santé], ces interactions augmentant la disposition d'une personne à pénaliser ou à aggraver son état de santé » (Horton, 2020) 1 .La notion de pandémie suggère que le virus serait égalitaire dans le choix de ses victimes. Or, les études épidémiologiques ont montré que ce n'est pas le cas. Le Sars-Cov-2 dégrade préférentiellement la santé des personnes atteintes de maladies chroniques, lesquelles ne se distribuent pas au hasard dans l'espace social. Il amplifie les inégalités sociales de santé (ISS), elles-mêmes en partie corrélées aux inégalités socio-économiques. À l'évidence, il s'agit là d'un éditorial très politique, dans le contexte post-référendum du Brexit. On en veut pour preuve qu'il fait écho au nouveau rapport Marmot sur « les inégalités de santé en Angleterre » qui dresse un constat sans appel de l'évolution sanitaire du pays :« La dernière décennie a été marquée par la détérioration de la santé et l'accroissement des inégalités de santé. Les personnes vivant dans les régions les plus pauvres hors de Londres ont vu leur espérance de vie stagner, voire décliner, pendant qu'elle augmentait dans les régions plus avantagées. En ce qui concerne l'espérance de vie en bonne santé, il y a eu une légère augmentation pour les hommes et une diminution légère pour les femmes » (Institute of Health Equity, 2020). Comment ne pas voir l'étrange concordance entre la géographie électorale du référendum sur le Brexit -les régions les plus défavorisées ayant voté pour la sortie de l'Union européenne pendant que les zones les plus prospères votaient pour le Remain -et l'aggravation des inégalités sociales de santé qui est elle-même un indicateur du déclin économique et social de pans entiers du territoire brita...