Why has America never expressed itself philosophically? Or has it -in the metaphysical riot of its greatest literature? » (Cavell, 1992, 33) 1 De ces deux questions que Stanley Cavell pose à l'Amérique, mais aussi à la philosophie et à la littérature -à sa philosophie et sa littérature -, un premier constat se dégage en forme d'hypothèse : la philosophie ne serait pas chez elle en Amérique comme elle le serait, disons, en Grèce, en Allemagne ou même en France. Question de lieu, donc, d'appartenance, d'ancrage dans le territoire d'une nation que la pensée imagine en même temps qu'elle s'y établit, mais aussi d'installation dans une langue et une écriture. Ou plutôt, en l'occurrence, question de non-lieu, d'absence de lieu idoine d'où la philosophie pourrait parler en son propre nom et s'exprimer en tant que philosophie. L'Amérique, ou l'utopie de la philosophie. Sans domicile fixe une fois transplantée au Nouveau Monde 1 , la philosophie ne serait plus à sa place, elle n'aurait plus de place et devrait, pour se dire, trouver à s'établir ailleurs, en invitée ou en parasite, mais toujours en étrangère, investir d'autres lieux et d'autres discours, tenter de faire bon ménage avec d'autres modalités du savoir, d'autres pratiques de la pensée, et singulièrement la littérature. Or la littérature à laquelle songe ici Cavell -celle d'Emerson et de Thoreau d'abord, mais aussi de Hawthorne, Melville et Poe -, si elle paraît disposée à héberger la philosophie, voire à se mettre en ménage avec elle, semble peu désireuse de la traiter avec égards ou ménagements. D'un tempérament rebelle et même séditieux, prompte à se révolter contre l'autorité du logos, la littérature américaine promet à la philosophie de nombreuses scènes de ménage en lui offrant une hospitalité non dépourvue d'hostilité 2 . L'« insurrection métaphysique » en quoi consisterait le geste littéraire en Amérique est annonciatrice d'un joyeux remueménage à tous les sens du terme : la cohabitation de la littérature et de la philosophie sous le même toit et dans le même texte présage un désordre intérieur, un chaos