La mobilisation des victimes d'accidents collectifs. Vers la notion de «groupe circonstanciel»

Abstract

La mobilisation des victimes d'accidents collectifs. Vers la notion de «groupe circonstanciel». Jean-Paul Vilain, Cyril Lemieux [135-160]. Depuis le début des années 1980, il est de plus en plus fréquent en France qu'à la suite d'un accident collectif (incendie d'un bâtiment recevant du public, collision entre deux trains, etc.), les personnes blessées et les parents ou proches de personnes blessées ou décédées se regroupent en collectifs de victimes pour formuler des revendications. L'analyse des modalités de mobilisation de ces groupes est d'autant plus intéressante que le plus souvent, les personnes qui se réunissent ne peuvent pas s'appuyer sur des liens de sociabilité préexistants ni même dans la plupart des cas, sur des affinités sociales très établies. Pour comprendre la spécificité de ces groupes nés des circonstances (ou «groupes circonstanciels»), l'article s'attache à comparer de façon systématique deux mobilisations de victimes ayant fait suite à des accidents collectifs de même nature, mais survenus respectivement en 1947 et en 1991. La comparaison des liens de solidarité, des demandes de réparation et des types d'interprétation qui caractérisent les deux situations permet de mesurer en quoi les évolutions structurelles intervenues depuis la fin de la seconde guerre mondiale dans le droit, l'expertise médicale, les dispositifs d'assurance et d'assistance et les médias rendent aujourd'hui possible ce qui était hier improbable : la constitution, autour d'une souffrance partagée, de «groupes circonstanciels» dotés d'une capacité à influer sur l'activité des sphères politique et juridique.

La fabrique d’un collectif judiciaire

“…Si par définition elle tient une place centrale dans la mobilisation, l'action judiciaire visant concrètement une réparation financière, tous les entretiens avec les plaignants de même que leurs interventions publiques font apparaître une tension entre d'une part le souhait évident de voir l'injustice « réparée » financièrement, et d'autre part la mise à distance de cet objectif : les plaignants disent souhaiter la reconnaissance publique de la discrimination et nient la primauté de leur intérêt financier. Les travaux qui interrogent les effets politisant des actions judiciaires, tendent à faire de la distanciation avec les enjeux financiers un critère central de la possibilité de montée en généralité d'une action 67 . Ici, le rapport à l'argent, dans les coulisses de l'action judiciaire, renvoie à la position relative des plaignants et de leurs soutiens dans la mobilisation.…”

Investir la rue alors qu’on n’en a pas le droit

“…Les éléments en mesure de faciliter le rassemblement d'individus autour d'une cause, et d'en faire un groupe capable de se mobiliser pour sa défense, sont au coeur du questionnement sur l'action collective étudiée ici. Une des caractéristiques de cet espace insulaire de mobilisation est le « caractère circonstanciel » (Vilain et Lemieux, 1998) des rencontres qui peuvent amener à l'engagement. Les liens entre les personnes mobilisées ne se basent que marginalement sur une sociabilité préexistante et ne peuvent pas se resserrer de manière significative sur place, vu les temps très courts dont les migrants disposent pour partager un lieu de vie, des expériences, des idées et des ressources pour s'organiser.…”

“…À ce stade, l'identité collective du groupe reste floue. Comme dans le cas des « groupes circonstanciels » étudiés par Vilain et Lemieux (1998), ces personnes accèdent « à une existence politique qui, d'une part, se passe du soutien des appareils de mobilisation traditionnels (partis politiques, syndicats, associations déjà instituées, etc. ), d'autre part, n'est plus directement référée à des appartenances sociales conventionnelles ( (Morris, 2002) qui de facto reproduisent des mécanismes d'exclusion, beaucoup plus coûteux pour ceux et celles qui précisément n'ont pas (encore) de statut.…”

After the Algerian war: reconstructing identity among the Pieds‐noirs

“…These were, on the one hand, to obtain amnesty for former French Algerians who had participated in the actions carried out under the aegis of the OAS and, on the other hand to ask for material indemnities. In due course, several laws partially satisfied these demands, 7 but, like all contingent groups (Vilain and Lemieux 1998), that is, groups of individuals that shared not social features but simply memories of suffering, neither material reparations nor legislative measures exhausted their being mobilised as Pieds‐noirs . This is because the stakes were first and foremost those of memory and identity, as seen, after 1973 by the creation of the Cercle Algérianiste, one of the main organisations involved in the defence of the Pieds‐noirs with the mission of saving an endangered culture.…”