Robert Gibrat est un polytechnicien du corps des Mines, qui a été tour à tour auteur de la première thèse d'économétrie en France, sur la loi de l'effet proportionnel, directeur de l'École des mines de Saint-Étienne, directeur de l'Électricité au ministère de la Production industrielle du premier gouvernement Laval, et secrétaire d'État aux Communications dans le second gouvernement Laval ; ce qui lui vaudra d'être condamné à 10 ans d'indignité nationale en 1946, mais ne l'empêchera pas de mener une seconde carrière exemplaire d'ingénieur conseil et de haut fonctionnaire à EDF -il est le concepteur de l'usine marémotrice de la Rance -puis dans les institutions liées au développement de la politique atomique de la France et de l'Europe. Dès lors que pouvait-il représenter à un congrès de philosophie scientifique ? La réponse est en partie dans sa communication « La science économique. Méthodes et philosophie » à condition de la lire entre les lignes, et à la lumière de ce qu'il a apporté à cette discipline, personnellement ou par le biais d'engagements dans des groupes spécifiques comme X-Crise, la société d'économétrie, le groupe politique Ordre nouveau, et les administrations et organisations patronales industrielles. Toutes ces institutions plutôt éphémères dans une période fort agitée, étaient bien placées à l'intersection des sciences, de la société et de la politique. Au-delà de la seule science économique en pleine mutation face au défi de la crise, Gibrat représentait aussi une nouvelle science unifiée à la fois par sa logique et par sa capacité à exercer une expertise technocratique (le mot date de cette période), à indiquer en quelque sorte dans ces années 1930 le chemin de la sortie (de crise) et du renouveau d'une société. Les philosophes des sciences ne pouvaient manquer de s'intéresser à ce programme, et Gibrat ne pouvait manquer de les écouter parler d'unité de la science.