"L'œuvre poétique en mouvement: une approche intertextuelle de la poésie de Raymond Queneau"

Abstract

La notion d'intertextualité, dès sa naissance, ne s'avère pas en tant qu'abordable; elle subit, dès lors, une jonchée de changements qui la rend, en passant le temps, plus docile à saisir, bien qu'elle reste parmi les questions littéraires les plus épineuses. Dans cette recherche nous essayons d'appliquer quelques éléments intertextuels au corpus afin de montrer que l'oeuvre quenienne subit les mêmes changements que subit la littérature tout entière. L'ouvrage même de Tiphaine Samoyault était de grand profit pour nous: une certaine classification de la part de Samoyault nous mène nécessairement à découvrir dans un grand nombre de poèmes queniens des empreintes et des traces d'autres écrivains. Cette taxinomie bien détaillée met à nos yeux le projet même d'un Queneau dont l'intention poétique et esthétique l'a exempté de tomber dans le plagiat. Historique et définitions variables Officiellement, le terme d'intertextualité était composé et introduit par Julia Kristeva, dans deux articles parus dans la revue Tel Quel et repris ensuite dans son ouvrage publié en 1969, Sémiotikè, Recherches pour une sémanalyse. Dans le premier article, paru en 1966 et intitulé "Le mot, le dialogue, le roman", la notion a connu sa naissance: "tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d'un autre texte. A la place de la notion d'intersubjectivité s'installe celle d'intertextualité, et le langage poétique se lit, au moins comme double." 1 Le deuxième article, "Le texte clos", avait doté d'une nouvelle perspective la théorie du texte qui s'est défini, dès lors, comme "un appareil translinguistique qui redistribue l'ordre de la langue." 2 Le terme d'intertextualité est devenu parallèlement lié au terme de productivité, ce qui veut dire que "dans l'espace d'un texte, plusieurs énoncés, pris à d'autres textes, se croisent et se neutralisent." 3 A la suite de Kristeva, le terme a été repris par plusieurs théoriciens de Tel Quel dans l'ouvrage collectif intitulé Théorie d'ensemble. Philippe Sollers l'a formulé ainsi: "tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture, l'accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur." 4 Dans tout texte le mot introduit un dialogue avec d'autres textes: c'est bien l'idée que Julia Kristeva emprunte à Bakhtine et qui entraîne la naissance de la notion d'intertextualité. Le dialogisme de Mikhaïl Bakhtine s'avère en quelque sorte l'équivalent de la polyphonie où, dans un texte donné, toutes les voix résonnent d'une façon égale. 5 Cela implique, de son tour, l'idée de l'altérité, où le texte est toujours en mouvement, où on entend parler dans le texte des mots autres, des mots des autres. Roland Barthes confirme que tout texte est un tissu nouveau de "citations inconscientes ou automatiques, données sans guillemets." 6 La notion d'intertexte