IntroductionChoisir le schwa comme objet d'étude, c'est d'emblée se situer dans une filiation de travaux très nombreux, trop nombreux pour certains, qui cherchent à cerner un objet fugace, hybride voire absent comme en témoignent des étiquettes concurrentes comme 'e caduc', 'e instable', 'e féminin', 'e sourd' ou 'e muet'. 1 Un mot sur la terminologie choisie ici. Le terme de 'schwa' n'est pas nouveau en grammaire française puisque Arnauld et Lancelot dans leur Grammaire générale et raisonnée (1660) y renvoient dans leur chapitre premier où ils démontrent qu'ils ne confondent absolument pas les sons (pour lequels ils utilisent aussi le terme classique de 'lettre') et les caractères orthographiques qui les représentent. À côté des neufs sons simples qu'ils faut reconnaître selon eux en français a, è, é, i, o, ó, eu, ou, u (API /a ɛ e i ɔ o ø u y/), il existe un élément supplémentaire : « Il reste l'e muet ou féminin, qui n'est dans son origine qu'un son sourd, conjoint aux consonnes lorsqu'on les veut prononcer sans voyelle [...] ce que les Hébreux appellent scheva, surtout lorsqu'il commence la syllabe. Et ce scheva se trouve nécessairement en toutes les langues, quoiqu'on n'y prenne pas garde, parce qu'il n'y a point de caractère pour le marquer. Mais quelques langues vulgaires, comme l'allemand ou le français, l'ont marqué par la voyelle e, ajoutant ce son aux autres qu'elles avaient déjà : et de plus ils ont fait que cet e féminin fait une syllabe avec sa consonne, comme est la seconde dans netteté, j'aimerai, donnerai, ce que ne faisait pas le scheva dans les autres langues, quoique plusieurs fassent cette faute en prononçant le scheva des Hébreux. Et ce qui est encore plus remarquable, c'est que cet e muet fait souvent tout seul en français une syllabe, ou plutôt une semisyllabe, comme vie, vue, aimée. » (Arnauld et Lancelot, 1660 : 10-11).Cette citation, qui mériterait une véritable exégèse, montre bien que, depuis fort longtemps, le schwa fait problème phonétiquement et phonologiquement, comme nous le dirions aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle je ne chercherai pas à défendre l'étiquette choisie. Schwa sera pour moi un terme préthéorique et je ne m'interdirai pas non plus d'utiliser les termes « e muet » ou « e caduc » lorsque c'est l'usage des auteurs que je citerai, car tous ces termes nous orientent vers un ensemble de phénomènes qui, dans la diversité des pratiques, ne forment pas un tout cohérent. Et précisément parce que ce tout n'est pas cohérent et pour mieux expliquer ma propre posture, on me pardonnera de commencer par quelques brefs rappels historiques.