À l'orée des années 1960, la pauvreté reste en France largement perçue comme ayant disparu, ou vouée à se dissoudre dans la prospérité économique et la protection sociale. Elle est un non-objet pour les universitaires et n'est plus pensée comme telle par les pouvoirs publics. Au carrefour de l'histoire de la pauvreté et de l'histoire des savoirs, cet article s'appuie sur les archives de l'association de solidarité ATD Quart Monde pour retracer la résurgence des recherches françaises sur la pauvreté en société d'abondance. La société civile apparaît avoir joué un rôle fondamental, métissant une diversité d'inspirations et de méthodes, ouverte aux expériences étrangères, nouant des liens avec le monde universitaire. Et ce, dans le but tout à la fois d'améliorer ses pratiques de terrain et de nourrir un plaidoyer qui puisse déboucher -et débouchera -sur d'importantes transformations politiques. * 2 janvier 1960. Suite à la lecture d'un article paru dans Elle sur le bidonville de Noisy-le-Grand, où ont été parqués par Emmaüs les non-relogés de l'Hiver 54 1 , une jeune diplomate néerlandaise de l'OCDE, Alwine de Vos van Steenwijk 2 , décide de venir voir. L'aumônier du « camp 3 », le père Joseph Wresinki, la commet -comme souvent les nouveaux arrivants -à une tâche plutôt ingrate, et elle passe la journée à trierdes dons de chaussures dépareillées. Le soir, raconte-t-elle, « comme nous étions assis, dans le froid, je lui ai demandé timidement : "Qu'est-ce qu'on peut faire ? ". Il m'a répondu : "Il faut faire des études". J'ai été très étonnée 4 ».