Autour de 1900, lorsqu'il s'agit de mettre en scène au théâtre ce qu'il est convenu d'appeler des textes dramatiques classiques, on trouve en France l'émergence d'une curieuse pratique -curieuse car probablement nouvelle dans son ampleur : celle de ne pas toucher au texte, ou à ce qu'on nomme communément sa « lettre ». Pour les pièces de Shakespeare, comme le rappelle Bernard Dort, elle naît avec André Antoine :La pratique traditionnelle du théâtre ne repose pas sur le respect du texte, contrairement à l'idée que l'on s'en fait aujourd'hui. Paradoxalement, c'est avec l'avènement du metteur en scène moderne que ce respect a été promu au rang d'impératif. En France, par exemple, la première représentation shakespearienne à utiliser une traduction intégrale fut celle du Roi Lear monté par Antoine en 1904. Auparavant, c'étaient toujours des adaptations ou des versions tronquées de pièces de Shakespeare que l'on jouait [1].Le paradoxe relevé par B. Dort ne fait-il pas écho, d'une certaine manière, à celui que Jorge Luis Borges met en oeuvre dans « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », où le personnage éponyme produit (sans copier) des fragments de texte « verbalement identique[s] » à certains chapitres du Don Quichotte de Miguel de Cervantès, mais, selon le narrateur de la nouvelle, « presque infiniment plus riche[s] [2] » qu'eux -si bien que nous avons peut-être affaire à un même texte (le Quichotte),mais à deux oeuvres (celle de Cervantès et celle de Ménard). Le théâtre n'aurait-il pas eu ses Pierre Ménard ambitionnant de « créer » dans une mise en scène le texte préexistant d'un écrivain et dont la création a néanmoins été perçue comme originale en regard de l'oeuvre écrite antérieurement ? On m'excusera de ne pas les chercher. C'est que je formule une hypothèse qui rend cette recherche inopportune : sur scène les modalités de représentation -ou plutôt de (re)production -et donc d'existence du texte font qu'il diffère fondamentalement de lui-même. On se demandera alors plutôt s'il est bien vrai que « [l]a mise en scène est une écriture sur une écriture [3] » (selon la célèbre formule d'Anne Ubersfeld) et on tentera de débrouiller ce que la métaphore -qui séduit encore [4] -a emmêlé : les textes, justement, qui n'en sont peut-être pas tous au même titre.
*** LE TEXTE ET LE TEXTE… ET SA LETTREUn texte, dit P. Pavis, n'est pas seulement mis en scène : il est également « émis en scène », c'est-à-dire qu'il est produit dans la mise en scène. P. Pavis distingue donc deux approches dans l'analyse des spectacles : étudier « comment un texte (préalable) a été mis en scène » et « comment le texte est émis en scène, à savoir rendu audible ou visible [6] ». Le spectateur n'a accès qu'au texte tel qu'émis en scène : Dans le cas où il interprète un texte, le spectateur doit prendre soin d'examiner comment le metteur en scène et les acteurs ont lu ce texte et l'on inséré dans une représentation. On n'a donc pas accès au texte en soi, tel que nous le lirions dans la brochure (qu'elle soit ou non publiée, que nous la connaissions o...