De la génétique à l'épigénétique : une révolution « post-génomique » à l'usage des sociologueshttps: //www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2018-1-page-71.htm Pour citer cet article. Dubois, M., Guaspare, C., Louvel, S (2018). « : Une révolution « postgénomique » à l'usage des sociologues » Revue Française de Sociologie, 59(1), p.67-94.
RésuméCette note critique étudie l'impact de la révolution dite « post-génomique » pour les sciences sociales à partir de cinq ouvrages publiés entre 2016 et 2017. Il s'agit non seulement d'introduire le lecteur français à l'actualité des débats dans les pays anglosaxons sur la redéfinition en cours des frontières entre sociologie et biologie, mais également et surtout de contribuer à la réflexion sur l'évolution des pratiques de recherche interdisciplinaires. Une attention particulière est accordée au domaine émergent de l'épigénétique et à la manière dont il est représenté par ces ouvrages comme le lieu par excellence de la révolution post-génomique. L'article souligne l'importance pour les sociologues de prendre conscience des opportunités associées à cette révolution, tout comme de s'affranchir d'un certain nombre d'idées reçues. Il insiste également sur la nécessité de maintenir une distance critique suffisante par rapport à un domaine de recherche « prometteur ».
Introduction« Le conservatisme a toujours été lié à des formes de pensée qui tendent à réduire le social au naturel -l'historique au biologique » (Duster, 2003, p. vi). Par cette phrase qui ouvre l'avant-propos à l'ouvrage du sociologue des sciences Troy Duster, Backdoor to Eugenics, Pierre Bourdieu donne à voir en peu de mots une double croyance sociologique. Une croyance d'ordre conceptuel tout d'abord, avec l'idée selon laquelle l'espace « naturel » du raisonnement sociologique s'organise sur la base de frontières clairement définies : le social vs le naturel, l'historique vs le biologique. Une croyance d'ordre politique ensuite, avec l'idée selon laquelle la vocation progressiste de la sociologie s'identifie à sa capacité à conduire à son terme la critique du conservatisme en dévoilant le social derrière le naturel, l'historique derrière le biologique.Cette double croyance ordinaire repose sur un certain nombre de faits. L'étude dans le temps long des discours conservateurs a par exemple bien montré la place centrale accordée à un soi-disant ordre immanent des choses (Mannheim, 1986 ;Kettler et al., 1981). L'argument réactionnaire de « futilité » théorisé par Albert O Hirschman (1991), notamment dans son articulation avec celui des effets pervers, est bâti sur cette référence à un invariant par nature. Face à l'illusion du changement, il fait valoir l'immuabilité des « structures profondes » de la société. De même on sait que l'engagement critique de la sociologie va de pair avec l'adoption de stratégies de recherche antinaturaliste. Pour s'en tenir à un seul exemple, le domaine de l'étude des sciences a montré de quelle manière la politisation des enjeux scientifiques s'est nourrie d'une stratégie de...