De la violence familiale à la violence institutionnelle. Le continuum des violences dans l’expérience des jeunes placés en protection de l’enfance

Abstract

Depuis cinq ans, plusieurs rapports et témoignages d’anciens enfants placés interpellent les pouvoirs publics sur les violences subies par les enfants et jeunes dans des institutions de protection de l’enfance. Pourtant, leur parole peine à être entendue. À partir d’une enquête par questionnaires et entretiens (l’enquête longitudinale sur les conditions de vie et de sortie des jeunes du système de protection de l’enfance, ELAP), cet article s’intéresse au continuum des situations de violences – avant et pendant le placement – auquel ont été confrontés les jeunes rencontrés. Nous verrons que, dans certains cas, les établissements et familles d’accueil participent à produire ou à prolonger les violences auxquelles ils devraient pourtant mettre fin.

« Soit ils me croient moi, soit ils le croient lui »

“…L'accentuation du retrait d'Andréa de sa vie familiale et la rétractation des accusations portées initialement par Dorian en résultent, ce qui permet dans les deux cas l'émergence et la légitimation d'un récit familial collectif auxquelles concourent parfois les institutions. En somme, s'il existe bien un « continuum de violence, de la famille de naissance au placement en institution » (Lacroix et al, 2023, p. 2) ou au suivi institutionnel, ces violences, notamment psychologiques, n'adviennent pas toujours dans cet ordre mais peuvent se superposer et s'accentuer mutuellement.…”

“…L'historique institutionnel de la famille P. m'est raconté par les membres du service et par Erika 10 , la psychologue de l'Aide sociale à l'enfance (Ase) qui a suivi les enfants depuis leurs premiers contacts avec les services sociaux. Chez les P., l'inceste est noyé dans un continuum de violences familiales et institutionnelles (Lacroix et al, 2023)…”

“…Les symptômes des garçons P. sont interprétés à travers le prisme des révélations de Dorian, selon la dichotomie auteur et victime d'inceste. La violence entre pairs étant un phénomène structurant dans les lieux de placement (Lacroix et al, 2023), les professionnels ne s'interrogent pas sur la source des comportements de Charlie, mais leur accumulation cristallise sa stigmatisation comme prédateur sexuel. À la demande conjointe du centre médicopsychologique et de l'école de Charlie, il est interné trois semaines en pédopsychiatrie l'été de ses 9 ans.…”

Une enfance sous contrôle institutionnel

“…Tout d'abord, il leur est demandé de respecter les règles encadrant la vie quotidienne du lieu d'accueil. Les difficultés de comportement et les incompatibilités à vivre ensemble conduisent à des exclusions du lieu d'accueil et à des parcours jalonnés de ruptures (Jamet, 2021 ;Lacroix et al, 2021). D'autre part, à l'approche de la sortie, les jeunes sont sommés de tout mettre en oeuvre pour acquérir une autonomie à la fois dans la vie quotidienne et sur le plan financier.…”