Regards catholiques sur les villes québécoises Une haine à géométrie variable (1918-1939) En 1921, le recensement effectué par le gouvernement canadien confirme une tendance qui apparaissait déjà nettement depuis le début du siècle : la province de Québec est désormais majoritairement urbaine. C'est un seuil qui ne passe pas inaperçu et suscite inquiétude et hostilité dans les milieux catholiques. La haine de la ville et du milieu urbain n'est pas une nouveauté dans l'histoire de l'Église québécoise, mais la période de l'entre-deux-guerres mérite une attention particulière. À la lumière des résultats du recensement, il devient plus difficile de se cantonner dans un certain agriculturisme et les discours émanant des milieux catholiques prennent peu à peu acte de l'urbanisation irréversible du Canada français. Dans les pages qui suivent, je propose d'explorer ces regards sur la ville à travers différentes revues émanant des milieux catholiques. Cette recherche s'inscrit dans une réflexion plus large sur la façon dont est pensée la ville dans la société québécoise au fil du XX e siècle et permettra de dessiner les contours du discours généralement hostile que lui réservent, durant l'entre-deux-guerres, les membres du clergé et les intellectuels canadiens-français issus de la mouvance traditionaliste. Je montrerai toutefois que ces discours varient selon l'endroit où se tourne le regard de leurs auteurs, notamment en ce qui a trait aux deux plus importantes villes de la province, Québec et Montréal, et reflètent certaines particularités du contexte québécois. Je conclurai sur certaines des pistes qui permettront d'élargir et d'approfondir l'étude des représentations de l'urbanité dans la société québécoise durant cette période charnière. La haine de la ville : de la théorie à la pratique La haine de la ville se retrouve en filigrane d'un grand nombre d'études, que ce soit à cause du sujet dont il est question-pensons aux recherches consacrées aux différents mouvements de réforme urbaine ou à la suburbanisation-ou du regard que porte le chercheur sur le milieu urbain-Lewis Mumford est l'exemple d'un tel observateur, fasciné par la ville, mais horrifié par les formes les plus récentes de son développement. Néanmoins, le premier ouvrage à aborder spécifiquement la question est The Intellectual Versus the City de Morton et Lucia