La constitution d’une aire sociale floue de travailleurs précaires des activités culturelles ou intellectuelles fait partie des transformations morphologiques importantes de la société française au cours des dernières décennies. On peut la désigner en transposant au français une expression parfois appliquée dans la littérature anglophone à un objet comparable : celle de creative precariat . Le précariat créatif français est l’objet de représentations diverses, d’origine savante ou non. Une de leurs originalités est leur relatif insuccès : à l’exception des « bobos », qui font partie des représentations les plus courantes et les plus chargées de sens moraux et politiques, mais qui visent plus large (pour autant que l’indétermination de cette catégorie permette d’en juger), ces représentations n’ont connu qu’une faible notoriété. Cependant, cela n’empêche pas que certaines des personnes visées par ces représentations les connaissent et bricolent à partir d’elles (et en particulier à partir de la catégorie d’« intellos précaires », chargée de significations militantes) des autodéfinitions plus ou moins sophistiquées. L’article sera consacré au déploiement de ces autocatégorisations, rapportées au parcours biographique et à la position des locuteurs. Nous montrerons comment les interviewés investissent la catégorie d’« intellos précaires », mais aussi se dissocient d’elle et du genre de politique de précarité qui y est impliqué.