Dans deux textes désormais fameux 1 , Joan Scott défend l'idée que l'histoire féministe doit rompre avec deux tendances problématiques. Sur le plan épistémologique, elle doit en finir avec l'empirisme, la tendance à supposer que la vérité de l'histoire se dévoile à travers l'expérience vécue des gens du passé, et que l'historien•ne peut accéder à cette expérience perdue en faisant, dans son présent, l'expérience des archives 2 au sens le plus large du terme 3 , à savoir tout ensemble constitué de traces. Il s'agit en somme de renoncer à ce « sentiment naïf, mais profond, de déchirer un voile, de traverser l'opacité du savoir et d'accéder, comme après un long voyage incertain, à l'essentiel des êtres et des choses 4 ». Cette épistémologie naïve, puisqu'elle pose une vérité ultime à laquelle donnerait directement accès une forme d'expérience, s'articulerait aisément à une seconde tendance problématique, un essentialisme qui caractériserait tant le marxisme que le féminisme radical. Ceux-ci auraient tendance à poser, comme vérité ultime de l'ensemble des phénomènes historiques, l'antagonisme entre deux groupes bourgeois et prolétaires, hommes et femmesdotés d'une réalité objective (d'une essence) : les positions occupées dans les rapports de production, les attributs biologiques. C'est pourquoi Scott invite l'histoire féministe à s'emparer d'autres ressources théoriques et méthodologiques : celles de la déconstruction 5 . Il s'agit, contre l'essentialisme, d'envisager les groupes comme des constructions discursives plutôt qu'inscrites dans l'économie ou la biologie ; et contre l'empirisme, d'adopter un rapport critique aux archives, désormais envisagées comme des fragments d'opérations de L'expérience collective des archives GLAD!, 11 | 2021