On illustrera quelques-unes des problématiques associées à la thématique « Histoire, Epistémologie, Réflexivité » par la notion de « grammaire philosophique ». L'allusion au tournant linguistique en philosophie est transparente dans le titre de cette contribution. L'idée n'est pas de renverser le sens de cette entreprise, mais plutôt d'emprunter, à partir de la linguistique, le même chemin dans l'autre sens. Si le tournant linguistique en philosophie se fondait sur l'idée que l'accès privilégié aux concepts passe par leur expression linguistique partagée, mon idée est qu'une description exhaustive des expressions linguistiques complexes et de leur contenu a besoin d'une voie d'accès à des systèmes de concepts indépendants de l'expression linguistique.Comme le montre une étude systématique des contenus conflictuels, la structure interne des signifiés complexes a une racine double (Prandi 1987) : la capacité des structures syntaxiques d'imposer un moule créateur aux concepts convoqués, mais aussi le rôle joué par un système de relations conceptuelles établies indépendamment dans la mise en place des relations sémantiques. Dans cette optique, les contenus conflictuels -les contenus d'expressions comme Le soleil versait sa lumière sur le Mont Blanc (H.-B. De Saussure) -sont à considérer comme des observatoires privilégiés des facteurs de la connexion des contenus complexes et des facteurs de la signifiance. Dans un contenu cohérent -Jean versait du vin dans son verre -, les deux facteurs, la connexion syntaxique formelle et la cohérence des concepts, dessinent exactement le même réseau de relations, ce qui rend tout à fait impossible un partage des tâches et des responsabilités. Dans les signifiés conflictuels, par contre, la connexion formelle force les concepts convoqués dans une relation qu'ils refusent. De ce fait, les relations nouées par chacun des deux facteurs se dissocient, rendant possible leur étude séparée.L'étude des contenus conflictuels exalte la capacité des structures syntaxiques formelles d'imposer un moule indépendant au concepts, s'inscrivant dans la tradition de la Philosophie des formes symboliques (Cassirer 1922), mais souligne aussi avec force une organisation indépendante des concepts dans des réseaux cohérents. Comme il y a une syntaxe des expressions fondée sur le critère de la bonne formation, il y a une syntaxe des concepts fondée sur le critère de la cohérence. D'après cette syntaxe, il est cohérent de verser une substance liquide ou de l'argent, mais il n'est pas cohérent de verser la lumière.
L'ontologie naturelleA la différence du contenu des expressions, l'expérience des choses est tautologiquement cohérente. Dans un texte, nous pouvons surprendre la lune en attitude de rêve ; dans la vie, cette expérience est inaccessible. Cette remarque banale entraîne une conséquence. Tant que nous sommes confinés dans le monde de l'expérience, la cohérence est simplement assumée comme allant de soi ; même si elle était remise en question, les critères qui la fondent resteraient obscurs. Si nous ...